Débuts prometteurs
Certains d'entre nous se rappellent les manifestations contre Mike Harris en Ontario qui, au plus fort de la mobilisation, ont mené à sa démission. C'était la fin de ce régime antisocial, brutal, insensé. Trois des acteurs principaux de ce cabinet se sont par la suite replacés au sein du Parti conservateur, formé en 2003, et ont repris le flambeau de la crosse au fédéral, poussant le même ordre du jour cruel et destructif. L'un d'entre eux est John Baird. Il amorce sa brillante carrière sous Harris en tant que ministre des Affaires sociales, où il se rend responsable d'une série de mesures visant à restreindre l'accessibilité à l'aide sociale. C'est grâce à lui si 15 000 bénéficiaires sont expulsé-e-s du programme en 1999, notamment avec l'instauration d'un test de dépistage de drogue obligatoire (un résultat positif signifiant l'arrêt des prestations) et l'exclusion à vie de toute personne reconnue coupable d'avoir fraudé l'aide sociale (sciemment ou non). Les conséquences de son intransigeance envers les plus démuni-e-s ont été dramatiques, comme en témoigne le cas de Kimberly Rogers. Cette Torontoise, condamnée à une assignation à domicile pour "fraude", enceinte, seule et sans revenu (ses prestations ayant été coupées), a été retrouvée morte chez elle suite à une longue canicule. Elle n'est qu'un des visages du carnage orchestré par Baird à l'époque. Mais John est un homme de conviction et ne se laisse pas arrêter par de tels incidents. Même après la chute du régime Harris, il reste ministre provincial jusqu'en 2005, année où il se lance avec le Parti conservateur fédéral. Pendant un an, en tant que président du Conseil du Trésor, il travaillera à rendre les ministres plus redevables avec des réformes somme toute inutiles, comme il nous le prouvera lui-même. On lui confiera son premier mandat de ministre en 2007, à l'Environnement. Son principal mérite y sera d'avoir contribué à l'échec de l'accord de Kyoto. Son passage au ministère des Transports lui permettra de diminuer l'investissement dans les transports en commun, notamment à Toronto. Puis, à titre de ministre des Affaires étrangères, il s'acharnera à apporter un soutien indéfectible à Israël, peu importe le degré de brutalité qu'atteindront ses attaques contre la Palestine. Il s'efforcera pour le reste de suivre la politique étrangère américaine en tout point, ou peu s'en faut.
Le beurre ou l'argent du beurre, ou les deux
Certains s'étonnent du départ soudain de Baird. Peut-être pensent-ils qu'un homme qui a traqué les "profiteurs du système" avec autant d'acharnement se trouve dans une classe à part. Qu'ils se détrompent : démissionner en 2015 lui permet de recevoir sa pension ministérielle à partir de 55 ans (il évite ainsi une réforme débutant en 2016, qui repousse le début de cette pension à 60 ans). Il nous coûtera donc 64 321$ par année (donc 5360,08$ par mois) jusqu'à sa mort. Notons au passage que le montant maximal pour la Pension de la Sécurité de la vieillesse, que le monde ordinaire peut recevoir à partir de 67 ans, est de 546,07$ par mois. Mais d'ici ses 55 ans, John doit bien vivre. Poussé par sa bonne réputation (laisser mourir des assistés sociaux et encourager la pollution à grande échelle étant bien vu dans certains milieux), il se tourne simplement vers le privé, qui lui en devait bien une. Heureusement pour lui, ce n'est pas la récession pour tout le monde ! Depuis son départ, il a réussi à se trouver non pas une, mais trois jobs. On apprenait en effet, à peine deux mois après sa démission, qu'il se joignait au conseil consultatif de la minière Barrick Gold ; après quoi le Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) l'a également engagé à titre de directeur (pour la bagatelle de 235 000$ par an) ; début avril, c'est un riche homme d'affaires chinois qui a retenu ses services à titre de conseiller financier. C'est donc dire qu'il continuera à sévir à des postes prestigieux — dans le sens le moins noble du terme... Par exemple, Barrick Gold n'est plus à présenter depuis sa poursuite-bâillon intentée contre les auteurs du livre Noir Canada : habituée des violations des droits humains, des désastres environnementaux, de l'évasion fiscale, la minière basée à Toronto doit se féliciter de ce que Baird lui ait évité l'embarrassante obligation de respecter le traité de Kyoto et fasse maintenant partie de ses rangs. L'avenir nous dévoilera les détails des crosses auxquelles Baird pourra s'adonner dans le privé, fort de son expérience au gouvernement et de ses contacts haut placés, dont ses nouveaux employeurs profiteront largement, nul doute. Comme il a lui-même mis en place la Loi fédérale sur la responsabilité (Federal Accountability Act) en 2006, l'ex-ministre n'ignore pourtant nullement qu'il lui est interdit de se placer en conflit d'intérêts avec ses anciennes fonctions. Évidemment, il argue que la commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique lui a donné le feu vert pour tous ces emplois. Mais c'est pas parce que c'est légal que c'est correct. Et c'est pas parce qu'il s'enrichit à nous dire que c'est la faute des assistés sociaux qui nous fraudent si le gouvernement est déficitaire, que les changements climatiques n'existent pas, qu'on va le croire. Il est grand temps qu'on se débarrasse de cette classe de profiteurs qui nous vendent l'austérité à prix fort.