L’histoire moderne de l’Ukraine est jalonnée d’interventions militaires provenant de l’Occident : campagne napoléonienne (1812), guerre de Crimée (1853-1856), deux guerres mondiales pendant lesquelles plusieurs régions changent incessamment de tutelle étatique (Autriche-Hongrie, Pologne, Allemagne, Russie).
Avec la fin de ladite « guerre froide » (en réalité « chaude » dans d’autres parties du monde), l’OTAN était censée disparaître, puisqu’elle a été constituée pour protéger les pays occidentaux du bloc soviétique. Mais George H. W. Bush, Mitterrand et Thatcher s’accordent sur la nécessité de la pérenniser lors de son sommet en juillet 1990. En novembre de la même année, Gorbatchev1 et Khol2 conviennent que l’Allemagne réunifiée en fasse partie, en échange de son renoncement à l’arme nucléaire. Lors de la dislocation soviétique, le secrétaire d’État américain James Baker promet en outre à Gorbatchev que l’OTAN ne s’étendra pas vers l’est, mais rien n’est couché sur le papier.
Le tournant remonte à 1991, au moment de la guerre en Yougoslavie (1991-1995) puis au Kosovo (1998-1999), qui cause au moins 130 000 morts et plus de quatre millions de déplacés ou réfugiés. Parallèlement aux horreurs du régime serbe de Milosevic, l’Allemagne et l’Autriche ajoutent de la tension en reconnaissant unilatéralement, le 23 décembre 1991, l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie. La Communauté Économique Européenne suivra deux jours après, ainsi que le Vatican.
On connaît la suite : escalade belliciste et nationaliste, guerre, massacres, épurations ethniques, attisements interconfessionnels. Le conflit yougoslave est le premier sur le sol européen depuis 1945. Les bombardements que l’OTAN opère sur la Serbie au printemps 1999 révèle qu’elle est une force militaire et politique, bien plus puissante que la bureaucratique Union européenne. Pendant 128 jours, 400s avions de l’OTAN effectuent 480 sorties quotidiennes et provoquent le décès d’un millier de militaires yougoslaves et de 500 civils.
Cette intervention s’effectue en rupture avec la Charte des Nations Unies puisque l’OTAN se dispense de l’accord du Conseil permanent de sécurité nécessaire avant d’engager toute intervention armée entre États. Il est vrai que la Russie aurait mis son veto.
Soutenus par la France, ces bombardements ont été réclamés par le gouvernement de l’Allemagne, composé de la première coalition entre socio-démocrates et écologistes, Gerhard Schröder étant Chancelier, et Joschka Fischer (écologiste) ministre des Affaires étrangères.
Pour les dirigeants russes, cette intervention d’une organisation occidentale est perçue comme une attaque des frères slaves, et le démembrement yougoslave comme une mainmise de l’Union européenne, laquelle est officiellement créée le 1er novembre 1993 et étend ainsi son marché.
L’OTAN s’élargit ensuite vers les pays de l’Est : Pologne, République tchèque et Hongrie en 1999 ; les trois États baltes, la Slovaquie, la Slovénie, la Roumanie et la Bulgarie en 2004 ; la Croatie et l’Albanie en 2009, le Monténégro en 2017 et la Macédoine en 2020. Ces adhésions se font à la demande des États qui y voient le moyen de se prémunir contre toute nouvelle velléité impérialiste russe. L’OTAN intervient aussi d’autres régions du monde, en dehors de son périmètre légal d’intervention : Afghanistan (2001-2021), piraterie en mer Rouge (2009-2016) ou en Libye (opération Unified Protector, 2011).
À son arrivée au pouvoir en 2000, Poutine joue d’abord la carte de la coopération avec l’Occident. Mais le gouvernement américain tient à l’hégémonie des États-Unis. Il veut une Europe capable de contrôler la Russie à sa place, ce qui passe par une intégration économique et politique des anciens satellites soviétiques. Ainsi, le sommet de l’OTAN, qui se tient à Bucarest les 4 et 5 avril 2008, « se félicite des aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie, qui souhaitent adhérer à l’Alliance ». Il précise que « aujourd’hui, nous avons décidé que ces pays deviendraient membres de l’OTAN ». L’utilisation jésuitique du conditionnel (« deviendraient ») aboutit au « pire des deux mondes ».
Une telle déclaration agace les dirigeants russes, Poutine en tête. Elle ne convient pas davantage aux dirigeants ukrainiens issus de la « révolution orange3 » qui ont le sentiment d’être dupés. Rétrospectivement, on peut se demander si la soumission des dirigeants français et allemands, Sarkozy et Merkel, au faucon Bush n’a pas initié ce jour là, en avril 2008, la mise à mort poutinienne de l’Ukraine. Ou comment, le peuple ukrainien a servi, à son tragique dépens, de bouclier aux puissances occidentales et de monnaie d’échange au nouveau tsar.
Les ressources ukrainiennes (blé, oléagineux, charbon, électricité) et ses composantes stratégiques (passage des oléoducs russes) pèsent moins que les ambitions impérialistes des puissances en présence. À l’annexion russe de la Crimée (2014) et l’invasion de l’Ukraine (février 2022) répond en Occident l’élargissement de l’OTAN, y compris avec un État jusque là neutre comme la Suède, et une escalade délirante des budgets militaires sur fond de propagande massive. Les peuples — tous les peuples — en font les frais.
Réseau Makhno, octobre 2024.
1Mikhaïl Gorbatchev (1931-2022) dernier président de l’URSS.
2Helmut Kohl (1930-2017) a été chef du gouvernement ouest-allemand puis allemand après la réunification du 1er octobre 1982 au 27 octobre 1998.
3On appelle « Révolution orange » une série de manifestations (novembre 2004 à janvier 2005) qui font suite à l’annonce des résultats à l’élection présidentielle de novembre 2004, que de nombreux ukrainiens perçoivent comme truqués. Plusieurs titres de presse doutent du caractère spontané de ce mouvement et ont souligné l’aide extérieur que cette « révolution » aurait reçu. À travers la « révolution orange », transparaît la lutte d'influence que se livrent en sourdine Moscou et Washington dans la zone.
Quelques précisions
Le texte fourni par le Réseau Makhno, a été élaboré à partir de passages de leur livre
Nous ne pouvons que trop encourager sa lecture pour une meilleure compréhension.