Les mobilisations entourant la tenue du G8 et du G20 à Toronto en juin 2010 se tiendront à peine six mois après avoir fêté les 10 ans des mobilisations de Seattle contre l'OMC qui avaient marqué les imaginaires des anticapitalistes du 21e siècle.
Campagne de sensibilisation, contre-sommets, manifestations, actions directes, centre des médias indépendants : tous les ingrédients seront réunis pour un nouveau grand spectacle de la convergence anticapitaliste. Pourtant, il y a fort à parier que nous serons moins nombreux en 2010 à l'appel de la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) 2010 que nous l'étions en 2001 à l'appel de la CLAC d'alors. Un constat qui pourrait être source de découragement peut au contraire nous amener à réfléchir sur l'évolution de nos luttes.
Le Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC), créé en 2003, est en quelque sorte issu de la CLAC, qui elle même avait été créée en 2000 pour se préparer à accueillir le Sommet des Amériques dans la ville de Québec. La lutte contre la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) s'inscrivait dans le refus de l'imposition d'un modèle de développement unique, incarné par les accords de libre-échange et les organisations économiques internationales, telles le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.
Faisant écho aux appels et aux mobilisations des mouvements du Sud, allant des usines occupées en Argentine jusqu'aux Zapatistes du Mexique, en passant par les paysans sans terre du Brésil, les organisations sociales du Nord de diverses tendances, de la gauche sociale démocrate à l’extrême gauche, se sont inscrites dans le mouvement anti-mondialisation en organisant toutes sortes d’actions, manifestations massives contre les sommets et forums sociaux. Dans la solidarité Nord-Sud qui s'articulait alors, une poignée d'activistes d'ici ont voulu mettre en pratique les principes libertaires en construisant des relations durables entre mouvements de résistance. Le PASC est un des visages parmi les multiples formes de lutte dans lesquels continuent de s'incarner les principes anti-capitalistes scandés en 2001.
De la lutte contre la ZLÉA à la solidarité directe
La ZLÉA n'a jamais été adoptée, mais son projet a été repris à travers des accords négociés de manière bilatérale depuis les États-Unis et le Canada avec les pays d'Amérique du Sud. L'État canadien a des intérêts économiques aux quatre coins du globe et il compte sur des accords de libre échange pour garantir les profits de ses compagnies et la sécurité de leurs investissements, comme c'est le cas avec la Colombie actuellement .
Le développement économique promu par les accords de libre-échange de la dernière décennie n'amène pas l'amélioration des conditions de vie de la population du globe comme le prétendent ses défendeurs, mais exacerbe plutôt les conditions qui provoquent l’émergence des conflits, voire de la guerre. Et comme les mécanismes du marché et de la démocratie libérale ne suffisent pas pour imposer le développement économique et contrôler le mécontentement, il faut recourir à la guerre. Guerre au terrorisme, guerre à la drogue, guerre pour le pétrole... Nous sommes en guerre, le Canada est en guerre, et pourtant les habitantEs de ce pays ne semblent pas s'en apercevoir...
L'analyse des impacts des projets de développement – promus par les agences étatiques, certaines organisations non-gouvernementales et les compagnies privées – permet de faire le lien entre les puissants intérêts économiques, l'appropriation des ressources, le contrôle des populations et des territoires, la répression et les violations de droits humains à travers le monde.
Revenons sur l’évidence : le développement économique capitaliste (d’exploitation des ressources et des personnes, de consommation et de concentration de la richesse) ne se fait pas dans le vide, il a besoin de ressources. L'imposition d'un modèle de libre-échange entraîne le vol des territoires des communautés locales par l'État et ses alliés, afin de permettre l'exploitation des ressources pour faire croître encore et encore les indices économiques. Dans ce contexte, toute pratique économique collective qui n'a pas comme corollaire le profit est considérée comme sous-développée et non valide. Les paysanNEs du monde entier se voient donc persécutéEs, puis dépossédéEs de leurs terres, afin de se conformer à un rôle d'ouvrier agricole ou minier dans les projets agro-industriels, sous le contrôle de l'élite économique.
Cette analyse anticapitaliste du développement nous amène à nous percevoir comme faisant partie des réseaux de communautés en résistance, et non pas comme des citoyenNEs du Nord en relation d’aide avec le Sud. Cela entraîne le défi de construire une relation d’alliés avec les communautés en résistance afin de développer une pratique de « solidarité directe ». Notre vision de la solidarité tire ses racines d'une critique du développement et d'une tradition historique d'internationalisme politique. L'aide humanitaire et la solidarité internationale, telles que pratiquées par la majorité des organisations internationales, gouvernementales ou non, participe en effet du néo-colonialisme ambiant, en perpétuant la dissymétrie de pouvoir entre le Nord et le Sud et en faisant la promotion du modèle de développement capitaliste qui génère continuellement des inégalités.
Les communautés qui refusent le modèle économique de développement capitaliste se trouvent tôt ou tard réprimées, elles sont signalées comme responsables du « retard économique », leurs idées d’harmoniser les plans de vie avec le respect de la nature ou de penser à ce qu’on lègue aux futures générations les rend coupables d’empêcher le « progrès ». Si elles se déclarent en résistance, elles seront amalgamées à une menace criminelle rapidement qualifiée de « terroriste ». Un nouveau chapitre de la guerre s'ouvre alors : la guerre au terrorisme, une guerre sans frontière qui peut s'exporter au gré des révoltes et des dissidences.
De la nécessité des anticapitalismes en contexte de guerre au terrorisme
À l’heure où les crimes d’État sont de plus en plus banalisés sur la scène internationale et que l’on martèle sans cesse le dogme de la sécurité nationale, le discours des médias de masse rejoint celui de l’État et façonne l’opinion publique en faisant un dangereux amalgame entre résistance populaire et criminalité. Militer pour revendiquer des changements sociaux et politiques structurels est de plus en plus facilement assimilé à du potentiel terrorisme. Ce glissement de terrain, qui vise à délégitimer l’action politique et à la stigmatiser aux yeux du public, pose de sérieux défis.
En tant qu’organisation prônant la solidarité directe entre les organisations sociales du Nord et du Sud s’inscrivant dans une mouvance de résistance globale au capitalisme, nous croyons qu’il est crucial de mener une réflexion quant aux stratégies que nous devons mettre de l’avant, face à la potentielle criminalisation de nos organisations et de nos luttes. Le piège pour nous est de tomber graduellement dans l'autocensure ou la dépolitisation de notre discours. La tentation d'articuler nos revendications exclusivement en termes de droits humains ou sociaux, afin de se défendre de ces accusations et de chercher à donner une légitimité légaliste à notre action, peut effacer peu à peu le caractère anticapitaliste de nos luttes.
Nous croyons qu’il est important de dénoncer le fait que la guerre au terrorisme, en Colombie comme ailleurs, sert trop souvent de prétexte pour mener des campagnes de salissage contre les organisations sociales devenues trop dérangeantes pour l’ordre établi. Ainsi, en associant gratuitement militants et criminels ou terroristes par le biais de campagnes de peur, les gouvernements visent à museler les organisations, à entacher leur réputation, à leur faire perdre leurs appuis et à les isoler du reste de la population. Nous ne pouvons nous laisser intimider dans nos luttes pour la justice sociale par de tels discours diffamatoires qui tentent de détourner l’attention par la désinformation. Au contraire, il faut riposter publiquement et continuer à démasquer les pratiques du terrorisme d’État, ainsi que les élites économiques et multinationales qui en profitent au quotidien.
Les mobilisations contre les Sommets des dirigeants de ce monde sont des occasions de réaffirmer la nécessité d'une analyse anticapitaliste dans nos luttes quotidiennes. Nous ne percevons pas les manifestions contre les sommets comme des fins en elles-mêmes, mais comme des occasions de mobilisation et de contestation, ainsi que des lieux de rencontres et de convergences, afin de mettre en commun nos forces, nos pratiques et nos savoirs. L'anticapitalisme est une multitude et une diversité de réseaux, de pratiques, de modes de vie, de solidarités, de résistances et de luttes quotidiennes ; construisons-les ensemble !
-- Projet Accompagnement Solidarité Colombie