LA LUTTE POUR L’AUTODÉTERMINATION DES WET’SUWET’EN

La lutte pour l’autodétermination du peuple Wetsu’wet’en ne date pas d’hier. En effet, depuis la fin des années 1990, les chef·fe·s héréditaires des peuples Wet’suwet’en et Gitxsan mènent une bataille juridique et politique pour la reconnaissance de leurs droits territoriaux. En 1997, ces deux peuples ont obtenu du système juridique colonial la reconnaissance que leur territoire n’avait jamais été cédé, et que leur système de gouvernance héréditaire n’avait jamais été éteint. Ainsi, depuis la fin des années 1990, le système juridique colonial lui-même reconnait la souveraineté du peuple Wet’suwet’en sur son territoire, ainsi que la validité de leur système de gouvernance qui est antérieur à la colonisation européenne.

En 2008, les Wet’suwet’en décidait de se retirer du processus de négociation de traités avec la Colombie-Britannique, tout en affirmant leur droit inhérant à leur territoire ancestral non-cédé. En 2010, les chef·fe·s héréditaires fondaient le camp Unist’ot’en dans la perspective de protéger leur territoire, tout en instaurant des pratiques de gouvernance inspirées de leur système juridique. Cela permet à la communauté de se prononcer sur l’ensemble des projets envisagés sur leur territoire par le biais d’un consentement libre et éclairé, au contraire des processus de “consultation” bidons offert par l’État colonial canadien. Depuis 2010, les membres de la communauté ont notamment construit un healing center sur le site du camp, où des soins de guérison inspirés des méthodes ancestrales étaient offert à la communauté.

Un second camp, le camp Gidimt’en, a été érigé en décembre 2018, et contrôle l’accès au territoire du clan Gidimt’en. Les chefs héréditaires Wet’suwet’en ont pris la décision d’appuyer cette démarche lors d’un festin organisé le 16 décembre 2018. Lors de la même période, la cour canadienne accordait une injonction à l’entreprise CGL, permettant à la GRC de dégager une voie de passage pour l’entreprise, à travers le Yintah, passant par différents barrages érigés par les Wet’suwet’en, et à proximité du healing center établi au camp Unist’ot’en. En janvier 2019, la Gendarmerie Royale du Canada faisait intrusion dans le territoire non-cédé des Wet’suwet’en afin de procéder à l’arrestation violente de 14 personnes défendant le droit à l’autodétermination, au consentement libre et éclairé de leur peuple. L’intrusion et les arrestations qui s’en sont suivies ont été faites de manière particulièrement violente et répressive, des documents attestent d’ailleurs que la GRC était prête à faire usage de snipers et de fusils d’assault à l’égard des militant·e·s autochtones [1].

En octobre 2019, les chef·fes hériditaires du peuple Wetsu’wet’en demandent à CGL de cesser immédiatement ses travaux sur leur territoire, parce que ceux-ci entraînaient la destruction du territoire et de l’héritage culturel des Wetsu’wet’en. En effet, l’entreprise effectuait à ce moment des travaux qui mettaient en péril la conservation de sites archéologiques contenant des traces de l’occupation millénaire des Wetsu’wet’en de ces territoires. La demande des chef·fe·s héréditaires se basait également sur le fait que l’entreprise ne respectait ni le droit traditionnel du peuple, ni le droit colonial de la province. Plutôt que d’obliger l’entreprise à respecter leurs propres lois, les tribunaux canadiens ont décidé d’accorder une injonction permanente à CGL, criminalisant par le fait même tous les protecteur·trice·s des territoires Wet’suwet’en.

Le large mouvement de mobilisation dont nous avons été témoins l’an dernier était directement issus de ce conflit. En janvier 2020, les chef·fes héréditaires ont transmis un avis d’éviction à l’entreprise CGL, ont évincé l’ensemble des travailleurs de l’entreprise, ont érigé un nouveau barrage au KM 39, toujours sur le territoire du clan Gidim’ten, les différents camps érigés tout au long de la route menant aux territoires des Wetsu’wet’en, agissant à titre de barrage pour empêcher à la fois CGL et la GRC de pénétrer sur le territoire. Quelques jours plus tard la GRC installait son propre barrage pour empêcher l’accès au supporters des camps et aux territoires des communautés.

Au cours de cette période, les militant.es subissaient du harcèlement quotidien de la part des agents de la GRC, malgré la promesse de l’État de ne pas intervenir pendant que des discussions avaient lieu entre les chef·fe·s héréditaires et la province. Entre le 31 janvier et le 10 février 2020, plus de 25 militant·e·s sont arrêtées par la GRC. En réponse à cette répression violente, des militant·e·s du peuple Wetsu’wet’en ont appelé leurs allié·e·s autochtones et allochtones à poser des actions avec comme mot d’ordre #SHUTDOWNCANADA, suite à quoi de nombreuses communautés autochtones et quelques groupes allochtones répondent en érigeant des barricades sur des voies ferrées d’un bout à l’autre du pays. La peuple Gitxsan, voisine et alliée des Wet’suwet’en avait notamment organisé un blocage de chemin de fer sur son territoire, comme l’ont fait par la suite de nombreuses communautés autochtones d’un bout à l’autre du soi-disant Canada.

L’arrivée de la pandémie l’an dernier a vite fait disparaître du radar la lutte pour l’autodétermination du peuple Wetsu’wet’en qui est toujours bien vivante. Depuis quelques semaines, les travaux de CGL ont repris de plus belle, encore une fois à proximité d’un site archéologique d’une très grande importance pour le peuple Wetsu’wet’en, menaçant de détruire des traces de l’occupation millénaire de leur territoire, et mettant par le fait même en péril la capacité du peuple à “prouver” à l’État colonial canadien la légitimité de ses revendications territoriales. Par ailleurs, les travaux actuels de l’entreprise menacent également la Wedzin Kwa, principale rivière, source de vie et de subsistance traversant le Yintah. CGL prévoit effectivement faire passer son pipeline sous cette rivière qui puise sa source beaucoup plus loin au nord, et dont l’eau était jusqu’à très récemment encore suffisament propre pour être bue directement de la rivière. Dans les dernières semaines, Chef Dsta’hyl, le chef héréditaire du clan Likhts’amisyu ainsi qu’un allié Gitxsan ont été arrêtés par la GRC, alors qu’ils exercaient leur souveraineté sur le territoire ancestral du clan. La GRC en a également profité pour vandaliser le camp érigé par ce clan sur leur territoire.

Jusqu’à ce jour, les Wet’suwet’en continuent d’exercer de manière ininterrompue leur droit de gouverner et et d’occuper leur territoire en respect de leur système de gouvernance organisé autour de chef·fes hériditaires des différents clans composant la peuple. En vertu du droit ancestral des Wet’suwet’en, les clans ont le droit et la responsabilité de contrôler l’accès à leur territoire, et la lutte actuelle des Wet’suwet’en contre CGL et l’État colonial canadien s’inscrit directement dans la mise en pratique de ce droit.

 

Sources :

[1] Exclusive : Canada police prepared to shoot Indigenous activists, documents show, The Guardian, décembre 2019, https://www.theguardian.com/world/2019/dec/20/canada-indigenous-land-defenders-police-documents

 

Pour en savoir plus :

·https://www.culturalsurvival.org/news/unceded-land-case-
wetsuweten-sovereignty
·https://www.yintahaccess.com/historyandtimelin