Au moment d'écrire ces lignes, l'actualité pétrolière au Québec « explose »... Il est très difficile d'en contenir les débordements en un seul article, alors veuillez considérer les lacunes comme des invitations à faire votre bout de recherche... Cet article porte spécifiquement sur les perspectives d'extraction sur le « territoire québécois », excluant ainsi les projets d'oléoducs, non moins cruciaux.
Vous vous souvenez du temps où ça allait changer tout seul ?
Il était dans l'air du temps de dire avec sérénité qu'un jour il n'y aurait plus de pétrole et que l'humanité passerait alors enfin à autre chose. Cette affirmation s'avère terriblement fausse. Il y a trop de pétrole, trop d'hydrocarbures disponibles pour que nous attendions ce moment. Des experts affirment que si nous brûlons, au rythme actuel, toutes les réserves de pétrole (et on ne parle même pas du charbon, du gaz, etc.) actuellement prouvées (sans compter les « potentielles »), la température moyenne de la planète augmentera de 4 à 6 degrés, ce qui est catastrophique1. Il faudra donc choisir collectivement de sortir de notre dépendance au pétrole et de cesser d'en extraire pour l'instant, et être capables de mettre en œuvre cette décision.
« Assumons notre consommation »
La fibre nationaliste est bien utile au Québec pour faire des raccourcis intellectuels. On nous parle des vertus du pétrole québécois, qui serait local-créateur-d'emplois-enrichirait-les-Québécoises-et-les-Québécois...équitable-bio-coopératif...bref, la panacée. Souvenons-nous qu'il y a trop d'hydrocarbures et certes, cesser du jour au lendemain d'en utiliser n'est pas vraiment plausible : il y a une période de transition nécessaire. Alors que devrions-nous consommer durant cette transition (à amorcer d'ailleurs) ? Le moins dommageable possible, non ? Eh bien, il se trouve qu'il est plus économe en termes d'émissions de GES d'importer du pétrole d'Algérie que d'exploiter le pétrole par fracturation au Québec 2. Cela dit, il serait important de développer des liens avec les travailleurs et travailleuses et les communautés algériennes afin de transformer cette relation commerciale en quelque chose de plus solidaire.
Au fait, les hydrocarbures au « Québec », de quoi on parle ?
Pétrole ou gaz, toutes les possibilités pointent vers ce qu'il est convenu de nommer non-conventionnel. En mer ou sur terre, il s'agit de techniques qui exigent beaucoup d'énergie et comportent non seulement des risques, mais aussi des conséquences inévitables à moyen ou long terme. Pour ce qui est du terrestre, outre le gaz de schiste dans la Vallée du Saint-Laurent, il y a le pétrole (nécessitant fracturation) de Gaspésie et d'Anticosti, ainsi que le gaz aux Îles-de-la-Madeleine. Partout il y a de la résistance, mais il est certain que les zones moins densément peuplées font face à des défis particuliers et ont particulièrement besoin de solidarité. Les fronts les plus susceptibles d’être menacés à court terme sont Anticosti et la Gaspésie. Le gouvernement a annoncé le 12 février dernier un partenariat avec Pétrolia, Corridor Resources et Maurel & Prom, tout en concluant un accord de principe avec Junex. Ces ententes permettront d'aller de l'avant (parce que le privé veut pu mettre de cash…) pour de l'exploration par fracturation (au propane dit-on), afin de déterminer le type d'hydrocarbures présents et si l'exploitation est viable. Car rien n'est prouvé à Anticosti, et plusieurs doutent du potentiel réel ; d'autres croient à une conspiration pour voler le public.... Certains diraient : tant mieux s'il n'y a rien. Certes. Éviter 12 000 puits de forage est un plus. Cela dit, l'exploration comme telle comporte son lot de risques et les travaux débuteraient au printemps 2014. Quant à la Gaspésie, péninsule comptant un peu moins de population qu'Hochelaga mais beaucoup plus de plages, de rivières et de forêt (bien qu'amochée), elle est « claimée » en vaste majorité pour des hydrocarbures. On y trouve quelques plateformes de forage, dont la plus connue est celle d'Haldimand 4, située à 350 mètres de la résidence la plus proche ! La municipalité avait retardé les projets d'exploration en adoptant un règlement de protection de l'eau potable mais, pour faire une histoire courte, Pétrolia a gagné en Cour et le règlement est en hiatus en ce moment. Ceci dit, de toute façon, la densité des cours d'eau de la Gaspésie laisse à penser que la protection de l'eau potable exigerait une protection de l'ensemble de la péninsule (non seulement du 15 % municipalisé).
L'optimisme, voire l'aveuglement volontaire quant aux retombées économiques, supporté par un nationalisme primaire, est aussi abondamment critiqué. Mais tenons-nous-en ici à l'essentiel : c'est un mauvais plan. Le rendement énergétique de la fracturation est mauvais, son bilan carbone est gênant, et les risques de contamination, à moyen terme et à long terme, assez élevés pour que des États (!) de par le monde l'interdisent.
En ce qui concerne le milieu marin, les projets à surveiller sont Old Harry et le secteur dit du Banc-des-Américains, le premier étant à la fois le plus médiatisé et solidement critiqué. Fait à souligner, outre la Coalition Saint-Laurent, qui regroupe du monde des cinq provinces maritimes, une Coalition Innu, Malécite et Mi'gmaq s'est formée en octobre 2013 afin de défendre leurs droits et protéger le Golfe3.
Rôle(s) de l'État : un masque qui tient avec de la broche qui dépasse
L'État québécois a joué un rôle historique de facilitateur d'accès aux ressources naturelles depuis sa création. C'était même sa première fonction. Depuis, à force de mobilisations, d'autres rôles lui ont été attribués, dont la protection de l'environnement. La conciliation de ces rôles ne semble pas l'étouffer et, alors que le gouvernement Marois portait un masque vert en période électorale, celui-ci a pâli vite. Pas qu'on soit surpris-e-s, mais il y en a que ça désillusionne, et ça c'est intéressant. La mobilisation sur les hydrocarbures compte de nombreuses personnes déboulonnées face à la politique représentative et il serait fort à propos d'y cultiver les perspectives de construction collective d'un contre-pouvoir plus radical. À ce propos, l'efficacité des actions d'affirmation et de défense du territoire à Elsipogtog inspire...
Et si c'était une occasion (allez...)
Parce que la sortie de la dépendance au pétrole et le choix de cesser d'en exploiter, c'est à contre-courant du capitalisme actuel, peut-être est-ce un moment charnière. Le capitalisme a carburé aux hydrocarbures depuis le charbon jusqu’aux sables bitumineux. Le capitalisme et son complexe militaro-industriel, son colonialisme revampé et sa capacité infinie de marchandisation offre des fuites en avant aux impasses qu'il a créées, et des voies de sorties pour les riches. Si nous souhaitons voir le capitalisme s'étouffer dans une dernière « puff » d'hydrocarbures, la conjoncture s'y prête au moins un peu. Sortir de cette phase énergétique appelle à une reconfiguration des forces de travail, des infrastructures, des relations aux écosystèmes... voire donc de l'organisation sociale tant locale et régionale que planétaire. Excitant, non ?
1Des millions de personnes meurent déjà des conséquences des changements climatiques, dont une très, très faible proportion de banquiers.
2http://www.iris-recherche.qc.ca/blogue/le-quebec-complice-de-la-crise-cl...
3De nombreuses communautés des Premières Nations sont au premier plan partout dans le monde en ce qui concerne la lutte contre l’exploitation des hydrocarbures, mais cela vaudrait un autre article en soi.