Pourquoi voulons nous abolir les prisons ?

La société libérale nous dit que les prisons existent pour nous protéger des gens qui nous veulent du mal, mais l'histoire des prisons, de même que la fonction sociale qu'elle sert présentement nous donne une histoire différente. Les prisons ont toujours existé pour enfermer les personnes pauvres, les esclaves en fuite, les gens endettés et ceux et celles dont la société ne voulait plus, ainsi que celles et ceux qui ont osé résister à la façon dont le monde est organisé.

 

Les prisons, un système raciste

Au Canada, le système carcéral a toujours été intimement lié au projet colonial. Comme l'État Canada naissant visait à reprendre le contrôle des territoires autochtones, des chemins de fers, des bureaux de postes et des prisons ont été mis en place pour affirmer sa souveraineté et pour supprimer les soulèvements autochtones. La prison de Stony Mountain est un excellent exemple. Construite à Winnipeg en 1877, dans une vague de construction de prisons suivant immédiatement la confédération, Stony Mountain a été érigée près du Lower Fort Garry, où des militaires avaient déjà été stationnés afin de mettre fin à la rébellion de la Rivière-Rouge. Des membres de cette unité militaire sont devenus les premiers gardiens du nouveau pénitencier. Les chefs d'un autre soulèvement autochtone, la rébellion du Nord-Ouest, ont été emprisonnés à la prison de Stony Mountain. Cette prison est toujours en opération à ce jour.

Des parallèles peuvent être tracés entre les prisons, l'histoire des pensionnats autochtones et le système de passe. Entre 1885 et 1951, le système de passe était une politique informelle du gouvernement canadien par lequel un autochtone devait obtenir une passe d'un agent pour avoir le droit de quitter sa réserver. Avec le système des pensionnats autochtones, le gouvernement Canadien a kidnappé, enfermé, détenu et traumatisé des générations d'enfants autochtones. Les prisons, les écoles résidentielles et le système de passe ont été utilisés de paire pour enfermer et contrôler les mouvements des personnes autochtones.

La connexion entre les prisons et la colonisation n'est pas seulement une affaire du passé. Encore aujourd'hui, les autochtones sont près de 27% de la population dans les prisons fédérales canadiennes alors qu'elles ne représentent que 5% de la population canadienne totale. Les personnes autochtones sont plus à risque de recevoir de plus longue période de détention, d'être enfermées avant leur procès et d'avoir des classification de sécurité plus élevées. De plus elles ont moins de chance d'obtenir une libération conditionnelle ou d'avoir accès à l'aide juridique. Il n'est donc pas étonnant que pendant ce temps, la sur-représentation des personnes autochtones dans le système de prison fédéral ne fait qu'augmenter.

Les personnes autochtones ne sont pas les seules ciblées par le racisme du système carcéral. Dans les 10 dernières années, il y a eu une augmentation de 70% de personnes noires détenues dans le système de prison fédéral. Alors que les personnes noires ne forment que 2.9% de la population canadienne, elles forment 9.5% de la population carcérale. Les prisonierREs noirEs sont plus à risque d'être mis en ségrégation administrative, d'être mis en haute sécurité, alors qu'elles ont moins de chance d'obtenir du travail en prison, ou d'avoir accès à des programmes culturellement appropriés. En même temps, les migrantEs sans papiers sont emprisonnéEs dans des centre de détention migratoire et souvent dans des prisons provinciales en attendant leur déportation.

Le racisme des prisons canadienne n'est pas lié au hasard ou à des erreurs qui peuvent simplement être corrigées. Au contraire, le racisme des prisons est simplement ce que les prisons ont été construites pour faire. Quelques unes des premières prisons canadiennes étaient utilisées pour enfermer les esclaves en fuite. Aujourd'hui, les noirEs et les autochtones sont souvent criminalisées, vivent dans des communautés soumises à un fort contrôle policier, et sont donc beaucoup plus à risque d'être arrêtéEs et emprisonnéEs. Comme la police, les prisons existent parce que l'état a besoin de contrôler les gens, particulièrement les personnes racisées ayant été jugées indésirables et sont donc ciblées pour être exploitées, déplacées et effacées.

 

Pouvons nous réformer les prisons ?

Le système de prison s'étend bien au delà des prisons traditionnelles. Il inclut les maisons de transitions, les cellules dans les postes de polices et dans les palais de justice, la surveillance électronique, le système de libération conditionnelle et de probation. Pour faire court, il comprend chaque facette du système de contrôle et de surveillance qui est mis en place pour supprimer la révolte et garder les puissants en place. L'État présente ses prisons comme des solutions aux problèmes économiques, sociaux et politique, tout en masquant comment la violence du capitalisme, du colonialisme et du racisme mène les gens en prison. Pendant ce temps, la continuation du système de prisons bénéficie ceux et celles déjà au pouvoir. Des politiciens qui sont élus sur des plateformes de lutte contre la criminalité aux architectes et au compagnies de constructions qui empochent d'énormes sommes sur la construction des prisons. Des services de sécurité privés qui gèrent les centre des détentions migratoire aux médias de masse qui font la promotions des stéréotypes des personnes pauvres, racisées, queer, migrantes et jeunes comme des déviantEs, des délinquantEs ou des criminelLEs.

Pendant ce temps, l'État canadien continue d'investir dans le système de prison chaque année alors que les conditions des personnes détenues continuent de s'empirer. Plusieurs des réformes gagnées par les mouvements des années 70s sont tranquillement en train de disparaître. L'accès à l'éducation et à la formation professionnelle se réduit, les familles voulant visiter leurs êtres cher sont sujet à de plus en plus de mesures de sécurité, et la plupart des programmes sont désormais gérés par les Services correctionnels au lieu de par des spécialistes indépendants. En 2013. le gouvernement Harper a réduit les salaires des prisonnierEs fédéraux, même s'ilLEs n'avaient pas eu d'augmentation depuis les années 80s. Les prisonnierEs fédéraux font désormais au maximum 3$ par jour, s'ilLEs peuvent avoir accès à ces programmes.

Devant ces conditions, il peut être tentant de se retraindre à demander pour des réformes et des meilleures conditions pour les prisonnierREs. Mais la seule solution aux prisons est de les abolir complètement. Dans les années 60s, la mise en application de réformes dans le domaine des prisons a été accompagnée d'un boom de construction. 25 nouvelles prisons ont été construites dans les années 70s. Les réformes des prisons viennent toujours avec des nouvelles techniques de contrôle et de surveillance, ainsi qu'une augmentation de la capacité du système de prison. On observe ce phénomène lorsque les fonds pour les programmes culturels ou d'employabilité sont redirigés pour la construction d'unités à sécurité maximale. On le voit encore lorsque la fermeture d'une prison critiquée pour ses conditions de détention résulte dans l'ouverture de 6 nouvelles prisons, comme il est arrivé avec les prisons féminines dans les années 90s. Une dernière manifestation est que la mise en place d'« alternatives aux prisons » comme les maisons de transitions accompagnent le développement de prisons à sécurité super- maximale comme à Saint-Anne des Plaines. Il ne s'agit que d'une version plus élaborée du bâton et de la carotte, et ultimement une façon d'augmenter le contrôle social.

 

Pour une nouvelle vision de la justice

L'abolition des prisons est une vision politique ayant pour objectif d'éliminer l'emprisonnement, le contrôle policier et la surveillance pour mettre en place des alternatives à long terme contre les punitions et l'emprisonnement. L'abolition ne vise pas qu'à détruire les établissements de détention, mais de repenser la société dans laquelle nous vivons, puisque le système carcéral émerge des conditions sociales d'oppressions et d'inégalités qui nécessitent le maintien des sanctions et du contrôle pour se maintenir. Alors que l'État tente de créer une classe de « criminels » à blâmer pour le malaise social, nous savons qu'aucune justice ne peut émaner des gouvernements. L'abolition des prisons remet en cause l'idée que mettre des gens en cage nous gardent en sécurité. Cela signifie de lutter pour un monde où chacunE a accès au nécessités comme la nourriture, l'hébergement et la liberté.

Une vision abolitionniste ne veux pas seulement dire de détruire le système de prison et de transformer la société qui le supporte, mais aussi de construire des nouveaux modèles pour gérer la violence et les conflits. Les pratiques telles que la justice transformatrice, issues de l'organisation des féministes noires, offre un modèle intéressant pour gérer les transgressions de façon autonome, loin de la police, de la cour de justice et des prisons. Alors que nous luttons pour une monde sans prisons, nous devons développer des stratégies concrètes pour construire un monde dans lequel nous voulons effectivement vivre. L'abolition devient donc un outil d'organisation quotidien ainsi qu'un objectif à long terme.