Un peu de contexte
L’expression « Centre social » est souvent utilisée dans nos milieux pour désigner des espaces très différents. Cette utilisation arbitraire contribue à nourrir une confusion sur la nature de ces lieux, de leurs activités, et de leurs modes d’organisation. Disons-le tout de suite, l’utilisation d’un espace comme lieu d’organisation politique et culturelle ne transforme pas le bâtiment en centre social. L’Achoppe et le Dira sont des espaces d’organisation, mais ne se retrouvent pas actuellement dans cette définition. De nos jours, cette terminologie est même cooptée par des organisations communautaires et réformistes pour décrire des lieux d’aide aux personnes défavorisées ou des espaces culturels sans grande portée politique. Il faut se rappeler que l’origine de ces structures est à trouver au cœur du mouvement autonome des années 1970, notamment en Italie, Espagne et plus tard en Allemagne. Chez nos camarades on parle plutôt de Centres Sociaux Autogérés ou Anarchistes (CSA), ou de Centre Sociaux Occupés Autogérés (CSOA). L’origine de ces occupations vient d’une nécessité pour les jeunes prolétaires et les familles pauvres, de trouver des espaces de vie, mais aussi de créer des lieux d’organisation et de lutte, pour le quartier et la ville. Loin d’être des structures de repli individuel, ces lieux ont été et sont toujours des outils majeurs pour le mouvement révolutionnaire de ces pays. Ce qui fait la force de pareilles structures c’est leur capacité à agréger autour d’elle la vie sociale et politique d’un quartier. Dans certains coins de Milan, le centre social est à la fois l’endroit où les gens peuvent venir manger un repas pour pas cher, écouter un concert, obtenir de l’aide contre leur propriétaire, suivre des cours de dessin ou de boxe, ou juste avoir un espace pour les jeunes qui soit à l’abri de la police. Le CSA est une structure qui permet des formes d’engagement très différentes et permet donc à des gens très divers de s’y impliquer. Malgré ça, il est impossible d’entrer dans ces espaces sans être confronté aux positions politiques du lieu. Même les espaces les plus apolitiques sont à minima antifascistes, les drapeaux sont suspendus aux murs, les appels aux manifs sont relayés, etc. Le CSA est un lieu populaire, dans tous les sens du terme, et ne peut pas être autre chose. En Italie notamment, ces espaces sont souvent des bâtiments squattés, et la loi italienne permet largement à la police de fermer ces endroits. Ce qui empêche le CSA d’être expulsé, ou qui fait hésiter les pouvoirs publics, c’est la popularité du lieu. La raison pour laquelle les camarades parlent de centre social et non de squat par exemple, est que le premier terme renvoie à un imaginaire négatif, peu accueillant pour la population des quartiers populaires (consommation, saleté, désorganisation). Ainsi, lors de l’ouverture de nouveaux espaces, la priorité absolue pour les militant.es est de lancer des activités et des évènements à destination de la population. Il ne s’agit pas seulement d’une action politique parmi d’autres, mais d’une nécessité pour la survie du lieu qui serait très certainement expulsé sans le soutien des gens des environs. Cette nécessité intrinsèque de faire du CSA un espace populaire, ouvert sur le quartier, en plus d’être un lieu d’organisation politique, permet d’éviter un certain nombre de tares de notre mouvement. Les CSA les plus puissants, à Turin, Milan, Rome et Naples, sont des lieux capables de mobiliser des centaines, voire des milliers de personnes sur des sujets aussi divers que le logement, le racisme ou les mesures antisociales. Ces CSA sont à la fois des lieux de vie, d’organisation, mais ils sont aussi souvent des tendances politiques. En Italie comme en Allemagne, les structures les plus pérennes ont leurs propres modes de communications, leurs logos, leurs drapeaux, etc. On trouve aussi bien des anarchistes que des marxistes-léninistes, aux côtés de tendances plus culturelles. La capacité de ces lieux à attirer et former de nouveaux et nouvelles militant.es est telle que certains groupes fascistes comme Casapound ont tout simplement reproduit ce modèle d’organisation pour leur milieu.
Pourquoi faire des CSA au Québec ?
La forme politique du CSA est une structure bien plus intéressante en termes de politisation que les formes-partis, les collectifs évanescents et autres réseaux. Le CSA place en son cœur la question de l’organisation de classe, de son autonomie, sans reproduire les travers des structures syndicales et des partis, tout en ouvrant le champ des possibles. En effet, le CSA est apte à organiser des segments de la classe qui ne se retrouvent traditionnellement pas dans les autres formes politiques. Pensons au travail reproductif, aux précaires, chômeur.euses, etc., toutes ces sections du prolétariat que les partis et les syndicats peinent à organiser ou rejettent tout simplement. En ne centrant pas l’organisation sur le rapport au travail, mais sur le lieu de vie, on élargit notre base sociale et on s’intègre au quartier. Il s’agit donc de penser le CSA comme une force politique autonome, capable non seulement de permettre l’organisation d’évènements, mais aussi de projeter ses moyens en soutien aux luttes, du quartier ou plus loin. En ce sens, nous avons beaucoup à apprendre des camarades italiens, espagnols, allemands et grecs. Or, nous sommes dans une situation bien plus favorable par rapport à elleux car leurs espaces sont des lieux squattés, plus susceptibles de subir la répression ou d’être expulsés, sans même parler des attaques fascistes récurrentes. Pourtant ces espaces survivent et sont des centres d’organisation florissants pour la gauche révolutionnaire. Certains existent depuis des décennies et ont parfois déménagé au gré des expulsions, tout en demeurant la forme politique structurante pour ces militant.es.
De l’Achoppe au Centre Social Anarchiste
Si notre volonté est de faire de l’Achoppe un CSA dans le vrai sens du terme, il va nous falloir nous atteler à sortir d’une dynamique strictement contre-culturelle pour en faire un lieu d’organisation populaire et politique. C’est quand même un comble que des espaces squattés soient plus propres et mieux organisés alors que nous sommes propriétaires du bâtiment. Certains camarades ne se rendent pas compte de leurs chance et de l’indécence de cette situation par rapport à nos camarades européens quand ils parlent de « gentrification de l’Achoppe ». Il s’agit aussi de revendiquer haut et fort notre identité politique, que les gens du quartier puissent identifier qui nous sommes et si nous faisons du bon travail nous serons à même de les attirer à nous. Si le travail est mauvais, nous n’aurons de reproches à faire qu’à nous-mêmes. Si nous réussissons ce lieu pourrait être une plateforme d’intégration majeure de nouveaux et nouvelles militant.es qui ressembleront certainement moins aux étudiants de l’UQAM qui forment l’essentiel de nos rangs. Il nous faut une identité politique, un site internet et une présence sur les réseaux sociaux expliquant clairement qui nous sommes et nos activités, des affiches et collants partout sur les murs du quartier, et une adresse officielle où nous rencontrer. Nous devons être présents en manifestation avec nos drapeaux et bannières, que ce soit sur les luttes du logement ou d’autres combats du milieu révolutionnaire. La timidité et la paranoïa sont les excuses des gens satisfaits par le statu quo, il est temps d’essayer de nouvelles choses si nous voulons que le mouvement révolutionnaire devienne une réelle menace pour l’État. La dernière réunion de restructuration de l’Achoppe a établi les bases de ce qui pourrait être un travail intéressant. Il a été décidé qu’une structure autonome de l’ARMU (l’OBNL d’habitation propriétaire) serait désormais responsable du rez-de-chaussée et du sous-sol. Cette structure doit se doter d’une charte politique et d’un fonctionnement clair pour être fonctionnelle et cette discussion va se tenir le 4 février prochain, à 13h à l’Achoppe. Actuellement, pour des raisons diverses et variées, peu de camarades se sont engagé.e.s dans ce travail important. Or, c’est maintenant que les choses se jouent, il s’agirait d’être responsable et de ne pas perdre les espaces qui existent déjà.
Rendez-vous à l’achoppe le 4 février prochain, à 13 h, pour les gens qui veulent qu’un véritable centre social anarchiste existe dans Hochelaga!