Quand on parle de crise climatique, on a tendance à penser à ce que celle-ci pourrait nous coûter. Mais dans un monde capitaliste, il est possible de profiter de n’importe quoi, même de la misère humaine. Et certaines personnes sans scrupules flairent déjà l’opportunité, la bonne affaire, avec toute cette misère qui nous pend au bout du nez.
La transition est payante
Quand on parle de faire de l’argent avec la crise climatique, on pense surtout aux projets de transition: construction de panneaux solaires, d’éoliennes, de voitures électriques. Il s’agit d’un marché en émergence qui pourrait représenter des milliers de milliards de dollars d’investissement par année dans les prochaines années, selon les prospectus de certaines firmes d’investissement.1 Mais, pour que ce marché de transition émerge, il faut d’abord que les organisations, publiques et privées, y investissent, ce qui ne semble pas être le cas en ce moment. Les mesures prises jusqu’à présent semblent essentiellement esthétiques2 et ne mèneront pas à des changements durables, quand elles ne sont pas complètement inutiles3 et ne changeront finalement rien du tout.
Et quand bien même ce marché de la transition viendrait à émerger, il n’est pas dit qu’il aurait un impact réel sur les changements climatiques. À quoi sert de changer sa voiture au pétrole pour une voiture électrique quand plus de 60% de l’électricité produite dans le monde se base sur brûler du carburant? 4 Même la jolie voiture électrique financée par Legault et Trudeau n’est pas aussi propre qu’on le pense: pour toute l’énergie qu’on met dans notre voiture, c’est de l’énergie qui n’est pas vendue aux États-Unis et c’est donc une centrale électrique au charbon américaine qui travaille plus pour compenser. Sans compter que notre capacité à produire de l’électricité n’est pas infinie: elle dépend de la capacité de nos 8 barrages, et de la quantité d’eau dans les réservoirs. Si les années de sécheresse comme en 2021 se multiplient, cela implique qu’on ne pourra pas produire autant d’électricité.5
Et c’est sans compter sur les coûts humains et écologiques de la construction de ces technologies de transition. Un exemple est le coup d’état d’extrême-droite avorté qui a eu lieu en Bolivie en 2019, coup d’état qui a été salué notamment par Elon Musk, le milliardaire propriétaire de la compagnie Tesla.6 La Bolivie est présentement le pays ayant la plus grande réserve de lithium au monde, un élément essentiel dans la production des batteries de la Tesla.7 Beaucoup de ces technologies de transition dépendent de minéraux rares comme le lithium, ce qui pousse les puissances impériales à intervenir dans les pays qui en ont.
Mais, «heureusement», nous n’avons pas à nous inquiéter pour cette économie émergente et les contrecoups qu’elle pourrait avoir, parce que les organisations publiques et privées ne font rien de significatif pour la faire émerger. Parce que, voyez-vous, il y a beaucoup, BEAUCOUP plus d’argent à faire... si on ne fait rien.
Mais ne rien faire est encore plus payant!
La réalité est qu’une catastrophe climatique est payante. Crissement payante. Alors pourquoi vouloir éviter une catastrophe qui pourrait rapporter autant d’argent? Ok, plusieurs milliards de personnes vont mourir, mais pensez à tout cet argent!
Et donc, comme les plus riches ne veulent pas et n’ont pas intérêt à prévenir, toute une industrie est en train de se développer pour guérir. Ou à défaut de guérir, mettre un pansement sur la plaie. Cette industrie prend notamment la forme de firmes d’ingénieries spécialisées dans la construction de digues.8 Et par panser les plaies, on parle bien sûr de celles des plus riches. Construire une digue pour toute la côte d’un pays est évidemment un projet colossal, que peu d’endroits peuvent se permettre. Un pays comme le Bangladesh, par exemple, devra construire ses digues lui-même, ce que les habitant·e·s les plus pauvres des zones côtières sont déjà obligé·e·s de faire.9
Certaines compagnies comme Monsanto et Syngenta développent de nouvelles semences plus résistantes aux changements climatiques, notamment à la sécheresse.10 Il s’agit, évidemment, de semences stériles: c’est-à-dire que les fermièr·e·s doivent acheter les semences à chaque année. Fini le temps où on pouvait simplement replanter les graines de l’année précédente: celles-ci ne pousseront plus, car le climat change plus vite que les plantes actuelles sont capables de le supporter.
Mais il existe d’autres opportunités d’affaires, si vous n’êtes pas encombré par des choses inutiles comme la «compassion» ou une «conscience». En Californie par exemple, vu la multiplication des feux de broussailles, certaines personnes très riches s’achètent une assurance qui inclut des pompièr·e·s privé·e·s. En cas de feu à proximité d’une maison assurée, ces pompièr·e·s se mettent en branle, quitte à nuire aux maisons non-assurées11 et à prendre les ressources utilisées normalement par les pompièr·e·s des services publics. Quand tu as une propriété évaluée à 60M$, payer 20k$ par jour pour des pompièr·e·s privé·e·s ça vaut la peine, et tant pis pour tout le reste des habitant·e·s de la Californie.12
Il faut aussi noter que ces protections restent limitées. Même si on réussissait à protéger nos villes des ouragans, qui protégerait nos forêts? Si on peut protéger nos champs des feux de broussailes, qui protégerait les plaines sauvages de l’ouest canadien? Est-ce que l’avenir de la Terre est de ne conserver qu’une poignée d’enclaves humaines entourées de déserts stériles?
Spéculer sur la mort de l’humanité
Il existe une autre manière de faire de l’argent: la spéculation boursière. Une approche utilisée par les spéculateurs est d’acheter des terres près des sources d’eau qui se versent vers des terres semi-arides, terres qui sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques. Le contrôle sur ces terres implique le contrôle sur l’eau qui les traverse et se déverse plus bas, donc le pouvoir de demander compensation en échange de cette eau.
Si la plupart des États possèdent des lois prévenant la spéculation sur l’eau, celles-ci sont généralement faciles à contourner. Par exemple, le Colorado demande que pour retenir l’eau sur un terrain, le propriétaire doit démontrer qu’il va s’en servir. Or, il est relativement simple de transformer un terrain en pseudo-pâturage pour animaux, et de justifier qu’un tel pâturage demande beaucoup d’eau pour fonctionner. Et si une ville plus bas manque d’eau, il faut que la ville l’obtienne ailleurs, comme par exemple en l’achetant du spéculateur.13
Il y a aussi une longue histoire de spéculation boursière sur l’agriculture elle-même. L’agriculture a longtemps été dépendante des banques, parce qu’il se passe beaucoup de temps entre le moment où les graines sont plantées et le moment où les récoltes sont faites. Les agriculteur·trice·s empruntent aux banques au temps des semences, pour rembourser après la récolte vendue. Ceci dit, les agriculteur·trice·s veulent s’assurer que leur récolte sera vendue, et vendue à un prix qui leur permettra de survivre. Les futures récoltes se trouvent donc souvent dans un mécanisme financier appelé «contrats à terme sur les marchandises» ou commodity futures. Les agriculteur·trice·s signent donc un contrat avec la banque, qui leur promet d’acheter la récolte à un prix donné. La spéculation se fait ensuite sur ce contrat lui-même: parce que si la banque promet d’acheter le blé à 6$ le boisseau lorsque le contrat est signé en janvier 2021, il est possible que le boisseau se vende à 8$ le boisseau au moment de la récolte. Ce sera le cas si la saison a été particulièrement mauvaise: moins de blé implique que les personnes qui en ont besoin seront prêt·e·s à payer plus pour en avoir. C’est ce qui s’est passé en 2021, année où l’ouest canadien a vécu une sécheresse particulièrement sévère, coupant la production céréalière canadienne d’environ du tiers.14
Donc, le fermier a été payé à 6$ le boisseau, mais la banque, qui a vendu le contrat au moment des récoltes, a pu le revendre à 8$ le boisseau. Cha-ching! Et plus les récoltes sont mauvaises, plus les commodity futures vont prendre de la valeur entre le moment des semences et la moisson. Un ouragan inonde une grande partie des plaines où pousse le maïs? Cha-ching! Une tempête de tornades détruit tous les plants de soya d’une région importante? Cha-ching!
Qui voudrait contrôler les changements climatiques quand tout cet argent tombe du ciel? Probablement tous les gens qui dépendent de cette bouffe pour survivre: parce que cet argent ne tombe pas littéralement du ciel, il vient de nos poches. Le 50% d’augmentation de notre facture d’épicerie n’est pas allé dans les poches des agriculteur·trice·s, mais dans les poches d’avides spéculateurs du marché des commodity futures.
La planète brûle, il faut les faire payer en crisse
On peut attendre tranquille que la prochaine inondation efface Montréal, que le prochain feu de forêt rase Québec, que le prochain ouragan détruise Gaspé. Parce que ça devient de plus en plus évident: les milliardaires ne feront rien pour contrôler la crise climatique parce qu’ils en bénéficient beaucoup trop pour risquer de changer quoi que ce soit.
Si on veut que le monde change, nous devrons donc le changer nous-mêmes. Nous ne pouvons pas attendre les réactions d’un gouvernement par et pour les riches, d’un système capitaliste construit par et pour les milliardaires. Les mieux nantis vendent notre survie aux enchères? Soit! Prenez note, banquiers de ce monde qui coule, que nous vendrons chèrement notre peau.
Notes:
1. Voir notamment: https://www.mckinsey.com/business-functions/sustainability/our-insights/.... Ce document de propagande est d’autant plus tragicomique quand on sait que McKinsey a été à la source de tous les gros scandales des dernières années, de la faillite d’Enron à la crise de 2008, en passant par la privatisation des prisons.
2. Voir notamment: https://theconversation.com/there-arent-enough-trees-in-the-world-to-off...
3. Qui implémente des mesures inutiles? Le « Canada » bien sûr: https://www.ledevoir.com/societe/environnement/570178/climat-le-gouverne...
4. Voir: https://www.iea.org/data-and-statistics/charts/world-gross-electricity-p...
5. Voir: https://www.lapresse.ca/affaires/economie/2021-08-27/baisse-du-niveau-d-...
6. Voir notamment: https://www.salon.com/2020/10/20/elon-musk-becomes-twitter-laughingstock...
7. Voir: https://pubs.usgs.gov/periodicals/mcs2021/mcs2021-lithium.pdf La Bolivie a des réserves de 21 millions de tonnes, largement inexploitées pour le moment.
8. Voir notamment: https://www.wnycstudios.org/podcasts/takeaway/segments/climate-change-me... Ironiquement, la construction de digues demande beaucoup de béton, et la production de béton produit énormément de gaz à effet de serre et va donc amplifier le problème qu’une digue cherche à résoudre. Pour une compagnie qui fabrique des digues, c’est un bon moyen de s’assurer de toujours avoir un marché...
9. Voir notamment: https://www.aljazeera.com/news/2021/11/3/bangladesh-global-warming-clima...
10. Voir l’article de WNYC cité précédemment.
11. Voir notamment: https://www.reuters.com/world/us/private-firefighters-fuel-tensions-whil...
12. Voir notamment: https://www.npr.org/transcripts/736715592
13. Voir notamment: https://www.kunc.org/environment/2021-05-05/colorado-is-examining-water-...
14. Voir https://www.cnbc.com/quotes/@W.1 pour la spéculation boursière sur le blé, et https://www.cbc.ca/news/canada/manitoba/crop-yield-stats-canada-1.6284026 pour la sécheresse dans l’ouest canadien.