« There is a huge opportunity here, this relationship & allyship between indigenous warriors and anarchists. Combining those two groups particularly is a really powerful move against the State and a really powerful voice that we can have together » – Sleydo, du clan Gidim’ten
La fin de l’année 2021 et le début de l’année 2022 ont été le théâtre de nombreuses actions menées par des militant·e·s du peuple Wet’suwet’en et leurs allié·e·s qui se battent encore à ce jour contre l’appropriation et la destruction de leurs territoires ancestraux par Coastal GasLink (CGL) et son allié l’État colonial. Ces actions de solidarité sont une opportunité de créer des liens et des affinités, ce qui a été rendu historiquement impossible par les politiques coloniales de l’État canadien, mais aussi par la difficulté des milieux militants allochtones, à se solidariser avec les luttes autochtones pour leur autodétermination. Dans le contexte actuel, alors que de nombreuses communautés autochtones s’organisent contre des industries extractives qui menacent leur survie, mais également la nôtre, de par leurs impacts environnementaux, nos luttes deviennent liées, nos intérêts deviennent convergents. Dans la dernière année, des collectifs écologistes, anticapitalistes ou militant dans une perspective de justice climatique ont organisé de multiples actions directes à travers le territoire soi-disant canadien à la demande explicite des land defenders, qui voyaient leur territoire envahi par la GRC. Ce texte, dont une version antérieure avait été publié dans la brochure d’information distribuée à la manifestation du 27 novembre dernier, se veut un rappel historique de la lutte pour l’autodétermination des Wet’suwet’en, ainsi qu’une mise à jour des plus récents développements au Yintah dans la lutte contre la construction du gazoduc.
La lutte pour l’autodétermination des Wet’suwet’en
La lutte pour l’autodétermination du peuple Wetsu’wet’en ne date pas d’hier. En effet, depuis la fin des années 1990, les chef·fe·s héréditaires des peuples Wet’suwet’en et Gitxsan mènent une bataille juridique et politique pour la reconnaissance de leurs droits territoriaux. En 1997, ces deux peuples ont obtenu du système juridique colonial la reconnaissance que leur territoire n’avait jamais été cédé, et que leur système de gouvernance héréditaire n’avait jamais été éteint. Ainsi, depuis la fin des années 1990, le système juridique colonial lui-même reconnait la souveraineté du peuple Wet’suwet’en sur son territoire, ainsi que la validité de leur système de gouvernance qui est antérieur à la colonisation européenne.
En 2008, les Wet’suwet’en décidaient de se retirer du processus de négociation de traités avec la Colombie-Britannique, tout en affirmant leur droit inhérent à leur territoire ancestral non-cédé. En 2010, les chef·fe·s héréditaires fondaient le camp Unist’ot’en dans la perspective de protéger leur territoire, tout en instaurant des pratiques de gouvernance inspirées de leur système juridique. Cela permet à la communauté de se prononcer sur l’ensemble des projets envisagés sur leur territoire par le biais d’un consentement libre et éclairé, au contraire des processus de «consultation» bidons offerts par l’État colonial canadien. Depuis 2010, les membres de la communauté ont notamment construit un healing center sur le site du camp, où des soins de guérison inspirés des méthodes ancestrales étaient offerts à la communauté.
Un second camp, le camp Gidimt’en, a été érigé en décembre 2018, et contrôle l’accès au territoire du clan Gidimt’en. Les chef·fe·s héréditaires Wet’suwet’en ont pris la décision d’appuyer cette démarche lors d’un festin organisé le 16 décembre 2018. Lors de la même période, la cour canadienne accordait une injonction à l’entreprise CGL, permettant à la GRC de dégager une voie de passage pour l’entreprise, à travers le Yintah, passant par différents barrages érigés par les Wet’suwet’en, et à proximité du healing center établi au camp Unist’ot’en. En janvier 2019, la Gendarmerie Royale du Canada faisait intrusion dans le territoire non-cédé des Wet’suwet’en afin de procéder à l’arrestation violente de 14 personnes défendant le droit à l’autodétermination, au consentement libre et éclairé de leur peuple. L’intrusion et les arrestations qui s’en sont suivies ont été faites de manière particulièrement violente et répressive, des documents attestent d’ailleurs que la GRC était prête à faire usage de snipers et de fusils d’assault à l’égard des militant·e·s autochtones. 1
En octobre 2019, les chef·fe·s hériditaires du peuple Wetsu’wet’en ont exigé de CGL l’arrêt immédiat des travaux, parce que ceux-ci entraînaient la destruction du territoire et de l’héritage culturel des Wetsu’wet’en. En effet, l’entreprise effectuait à ce moment des travaux qui mettaient en péril la conservation de sites archéologiques contenant des traces de l’occupation millénaire des Wetsu’wet’en de ces territoires. La demande des chef·fe·s héréditaires se basait également sur le fait que l’entreprise ne respectait ni le droit traditionnel du peuple, ni le droit colonial de la province. Plutôt que d’obliger l’entreprise à respecter leurs propres lois, les tribunaux canadiens ont décidé d’accorder une injonction permanente à CGL, criminalisant par le fait même tou·te·s les protecteur·trice·s des territoires Wet’suwet’en.
#SHUTDOWNCANADA 2020
Le large mouvement de mobilisation dont nous avons été témoins au printemps 2020 était directement issu de ce conflit. En janvier 2020, les chef·fe·s héréditaires ont transmis un avis d’éviction à l’entreprise CGL, ont évincé l’ensemble des travailleurs de l’entreprise et ont érigé un nouveau barrage au kilomètre 39 de la route forestière, toujours sur le territoire du clan Gidim’ten. Les différents camps érigés tout au long de la route menant aux territoires des Wetsu’wet’en agissant à titre de barrage pour empêcher à la fois CGL et la GRC de pénétrer sur le territoire. Quelques jours plus tard, la GRC installait son propre barrage pour empêcher l’accès aux supporters des camps et aux territoires des communautés.
Au cours de cette période, les militant·e·s subissaient du harcèlement quotidien de la part des agents de la GRC, malgré la promesse de l’État de ne pas intervenir pendant que des discussions avaient lieu entre les chef·fe·s héréditaires et la province. Entre le 31 janvier et le 10 février 2020, plus de 25 militant·e·s sont arrêtées par la GRC. En réponse à cette répression violente, des militant·e·s du peuple Wetsu’wet’en ont appelé leurs allié·e·s autochtones et allochtones à poser des actions avec comme mot d’ordre #SHUTDOWNCANADA, suite à quoi de nombreuses communautés autochtones et quelques groupes allochtones ont répondu en érigeant des barricades sur des voies ferrées d’un bout à l’autre du pays. Le peuple Gitxsan, voisin et allié des Wet’suwet’en avait notamment organisé un blocage de chemin de fer sur son territoire, comme l’ont fait par la suite de nombreuses communautés autochtones d’un bout à l’autre du soi-disant Canada. Suite à ces mobilisations, les chef·fe·s héréditaires Wet’suwet’en sont retournés à la table de négociation avec CGL, sans toutefois arriver à une entente.
#ALLOUTFORWEDZINKWA 2021
À l’automne 2021, les travaux de CGL ont repris de plus belle, encore une fois à proximité d’un site archéologique d’une très grande importance pour le peuple Wetsu’wet’en, menaçant de détruire des traces de l’occupation millénaire de leur territoire, et mettant par le fait même en péril la capacité du peuple à «prouver» à l’État colonial canadien la légitimité de ses revendications territoriales. Par ailleurs, ces travaux, qui ont toujours lieu à ce jour, menacent la Wedzin Kwa, principale rivière, source de vie et de subsistance traversant le Yintah. CGL prévoit faire passer son pipeline sous cette rivière qui puise sa source beaucoup plus loin au nord, et dont l’eau était jusqu’à très récemment encore suffisament propre pour être bue directement de la rivière. Le 25 septembre, en réaction à cette nouvelle intrusion de CGL sur leur territoire, des membres du clan Gidimt’en et leurs allié·e·s reprennent le contrôle du site où ont lieux les travaux en détruisant la route menant au site de forage et en érigeant des barricades. Puis, le 14 novembre, Sleydo, la porte parole du Clan Gidim’ten, annonce l’éviction de Coastal Gaslink et de ses travailleurs du territoire et leur donne huit heures pour quitter. L’entreprise n’avertira jamais ses employés, et les défenseur·e·s du territoires procéderons à la fermeture de la route menant au site. Dans les jours qui suivirent, près de 30 personnes seront violemment arrêtées, sous la menace des unités canines et de fusils d’assault de la GRC. La cabine construite au Coyote camp sera entièrement détuite par la GRC.
En janvier 2022, alors que des rumeurs d’un nouveau raid circulent, les defenseur·euse·s du territoire décident d’effectuer un retrait stratégique, voulant éviter une nouvelle vague de criminalisation. Les travaux de CGL reprendront de plus belle sur le site de forage. Puis, dans la nuit du 17 février, une action de sabotage a lieu sur le site de forage, endommageant sérieusement la machinerie utilisée pour creuser sous la rivière. L’action n’est pas revendiquée, mais alourdit les coûts de construction pour l’entreprise, en plus de retarder la poursuite des travaux. Bien que certaines voix se soient élevées pour dénoncer la « violence » de cette action de sabotage, il semble au contraire que face à des policiers qui n’agissent pas en fonction du droit, s’attaquer au portefeuille de l’entreprise par des actions directes est une stratégie particulièrement justifiée. De plus, la destruction de propriété n’est pas une violence comparable à la violence de l’invasion policière du Yintah.
Jusqu’à ce jour, les Wet’suwet’en continuent d’exercer de manière ininterrompue leur droit de gouverner et d’occuper leur territoire en respect de leur système de gouvernance organisé autour de chef·fe·s hériditaires des différents clans composant le peuple. En vertu du droit ancestral des Wet’suwet’en, les clans ont le droit et la responsabilité de contrôler l’accès à leur territoire et la lutte actuelle des Wet’suwet’en contre CGL et l’État colonial canadien s’inscrit directement dans la mise en pratique de ce droit. En 2010, 13 projets de pipeline devant passer sur le Yintah étaient proposés. CGL est le dernier. Les investisseurs des 12 autres projets ont été forcés de désinvestir, suite à d’importantes pressions de la part des défenseur·euse·s du territoire Wet’suwet’en et leurs allié·e·s. Ne laissons pas cette chance passer, les prochains mois seront déterminant et nous nous devons de soutenir la lutte conjointe contre CGL et pour le droit à l’autodétermination du peuple Wet’suwet’en sur son territoire ancestral.
Note:
1. Canada police prepared to shoot Indigenous activists, documents show, The Guardian, décembre 2019: https://www.theguardian.com/world/2019/dec/20/canada-indigenous-land-def...