Publié originalement dans le Caminando 2016, vol.31, "40 ans en marche : défis et lutte pour les droits humains" du Comité pour les droits humains en Amérique latine (CCDHAL)
L'appel lancé par les zapatistes, deux ans après leur soulèvement armé dans les montagnes du sud du Mexique, a renouvelé l’idée d’une Internationale dans les années 1990. C'est de cette Première rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme, qui s'est déroulée au Chiapas en 1996, qu'a émergé la « nébuleuse Internationale » se définissant comme : « Un réseau collectif de toutes nos luttes et résistances particulières ». Rappelons que le soulèvement zapatiste a eu lieu le 1er janvier 1994, date d'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Les manifestations de cette Internationale de la résistance prendront dès lors comme cibles les accords économiques et les sommets des élites de ce monde.
Le 22 décembre 1997, en représailles contre le mouvement zapatiste, des paramilitaires financés et formés par le gouvernement mexicain, massacraient 45 autochtones de la communauté appartenant à la Société civile Las Abejas au Chiapas. Ce triste événement a déclenché l'indignation générale sur la scène internationale et n'a fait que renforcer le mouvement de solidarité avec le Chiapas et de lutte contre la mondialisation capitaliste. À Montréal, le Réseau de solidarité avec le Mexique (RSM), dans lequel participaient des individus et des groupes, dont le Comité chrétien pour les droits en Amérique latine (CCDHAL) [1], a dénoncé durant des années avec vigueur ce massacre et la répression contre les communautés en résistance au Chiapas, et a participé activement à ce mouvement.
Dans la foulée de ces événements, on assiste en 1998 à la naissance de l'Action mondiale des peuples (AMP), qui se présente comme « une structure de coordination horizontale en soutien aux luttes de résistance contre le capitalisme, l'impérialisme et tout système d'oppression ». La première rencontre de l'AMP s'est tenue à Genève avec la participation de 300 délégué-e-s provenant de 70 pays différents. Les participant-e-s y planifient des « journées d’actions décentralisées à l’échelle mondiale » contre les réunions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et du G8 de mai 1998. C'est aussi de cette rencontre qu’est sorti l’appel pour la perturbation économique de la rencontre de l’OMC à Seattle en 1999. Non seulement la « bataille de Seattle », point d'envol des grandes mobilisations « antimondialisation », s’est-elle déroulée en 1999, mais également la deuxième Conférence de l'AMP, cette fois au Sud, à Bangalore en Inde. Il s'est agi d'un point tournant puisque c'est lors cette rencontre que cet espace de coordination s'est radicalisé; l’opposition de départ à l’OMC et au libre-échange se redéfinit alors comme une opposition claire au capitalisme. Les participants se livrent à une grande action directe : à l’instigation d’une organisation paysanne indienne (KRRS), on brûle des champs transgéniques de Monsanto. Puis, un appel est lancé pour une autre journée d’action mondiale lors de la rencontre annuelle du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale à Prague en 2000.
Ce nouvel internationalisme se caractérise par le sentiment d’une communauté de combat dans toutes les régions du monde. La naissance de réseaux tels que celui de l'AMP répond à la prise de conscience qu'il ne suffit pas que chacun mène sa lutte chez soi, ni que les peuples du Nord se solidarisent avec ceux du Sud, mais qu'il est indispensable qu'on s’engage et s'articule ensemble dans un mouvement global de résistances contre les mêmes politiques néolibérales appliquées à l'échelle mondiale, c'est-à-dire contre le système capitaliste. Ce mouvement n'est évidemment pas un bloc unitaire et monolithique; il vise à permettre le réseautage d'une multiplicité d'organisations qui mènent des luttes plurielles et utilisent des moyens variés, dans le respect de la diversité des tactiques. Ainsi, l’AMP n’est pas une organisation, mais plutôt un réseau de communication et de coordination décentralisé. Les groupes et mouvements y participent s’ils sont d'accord avec ses principes de base et son mode de fonctionnement reposant sur l’autonomie des groupes membres du réseau. En plus de participer à des rencontres internationales, les groupes se coordonnent lors de rencontres régionales. Dans chaque région, un ou des groupes jouent le rôle de « convoquants », c'est-à-dire de points de contact pour la région. Ils sont désignés lors des rencontres internationales et ont le mandat de promouvoir le réseau dans leur région et de coordonner l’organisation des rencontres régionales.
En route vers le Sommet des Amériques
À Montréal, c'est au printemps 2000 que la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) prend son envol, en prévision du Sommet des Amériques qui se tiendra du 20 au 22 avril 2001 à Québec, réunissant les 34 chefs d'État des Amériques (à l'exception de Cuba). La CLAC adopte les principes de base de l'AMP comme fondement d'unité et se donne comme objectif principal de perturber le Sommet des Amériques afin d'empêcher la signature de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA). Devenue membre du réseau AMP, elle y joue le rôle de « co-convoquant » pour l’Amérique du Nord de 2000 à 2001, avec le Tampa Bay Action Group, un groupe anticapitaliste de Floride. Ensemble, nous avons organisé une rencontre régionale nord-américaine, qui s’est tenue au Massachusetts et qui a fortement contribué à la mobilisation de militant-e-s américain-e-s, principalement anarchistes, en vue du Sommet à Québec. De plus, des membres de la CLAC se sont rendu-e-s dans plusieurs villes du nord-est des États-Unis afin de participer à des ateliers et des rencontres pour stimuler la mobilisation.
Au niveau local, la CLAC s'est organisée sous forme de convergence d'individus tenant des assemblées générales publiques mensuelles et ayant plusieurs comités de travail. Toutes les décisions importantes étaient prises en assemblée générale et la participation aux assemblées atteignait régulièrement de cinquante à cent personnes. Pendant toute l'année où nous avons travaillé d'arrache-pied à la mobilisation contre le Sommet des Amériques, la CLAC a été un lieu d'organisation extrêmement dynamique, un lieu de mise à l'essai des principes organisationnels de la démocratie directe et de mise en pratique des principes anti-autoritaires. Nous avons parcouru les routes du Québec pour donner des ateliers sur la ZLÉA et l'anticapitalisme et avons tenu de nombreux débats ô combien houleux sur la diversité des tactiques! Un journal, une troupe de théâtre de rue, un comité d'éducation populaire, un comité média agressif... nous étions déterminés à passer notre message et à faire de cette mobilisation un succès. Nous avons réussi à faire avancer de façon décisive le principe de « respect de la diversité des tactiques » en tant qu'avenue qui respecte différentes formes de lutte à la mesure des désirs, capacités et réalités de chacun-e. Cette vision a trouvé écho chez des milliers de militant-e-s du Québec, fatigué-e-s de la position dogmatique intransigeante des pacifistes de l'époque qui refusaient de cohabiter avec d'autres visions et formes d'expression de la lutte. Cette avancée de la diversité des tactiques demeure à mon sens, encore aujourd'hui, le principal héritage des mobilisations contre le Sommet des Amériques.
Action directe : La bataille de Québec
La CLAC se chargeait, en coordination avec le Comité d'accueil du Sommet des Amériques (CASA) – nos allié-e-s anticapitalistes de Québec – de la mobilisation et de l'organisation logistique de la manifestation du Carnaval contre le capitalisme qui se dirigerait vers le périmètre de sécurité du Sommet. Dans l'idée du respect de la diversité des tactiques, nous avions planifié l'existence de trois « zones » divisées par couleur, selon le type d'actions que les gens voulaient exercer pour manifester et le degré de risque qu'ils étaient prêts à assumer ou non. La zone verte devait être à risque minimal, plus festive et familiale, la zone jaune représentait un risque de niveau intermédiaire, alors que la zone rouge était à risque élevé.
C'est ainsi que le vendredi 20 avril, s'est mis en branle à partir de l'Université Laval une marche anticapitaliste s'étendant sur plus de quinze coins de rue! À un moment au cours du trajet, les manifestants ont eu la possibilité soit de tourner à gauche pour se rendre à l'Îlot Fleurie pour une fête de rue avec DJ (zone verte), soit de continuer tout droit sur le boulevard René-Lévesque pour aller manifester devant le périmètre (zones jaune et rouge selon l'endroit où les personnes se situaient dans le cortège). Les zones jaune et rouge n'étaient pas clairement délimitées, mais les gens comprenaient que plus ils s'approchaient du périmètre, plus les risques augmentaient puisque nous avions clairement appelé à faire tomber la clôture! La majorité des participant-e-s, environ 6 000 personnes, ont opté pour continuer en direction du périmètre. Un important black bloc de plusieurs centaines de personnes était à la tête de la manifestation. Pendant ce temps, en Basse-Ville, à l'Îlot Fleurie, dans la zone verte, le festival contre le capitalisme s'est mis en branle dans un joyeux tintamarre.
L'arsenal policier déployé pour l'occasion dans la ville de Québec était imposant : 1 500 policiers anti-émeute sur un total de 6 500 agents de différents corps policiers affectés à l'opération, en plus de 1 200 militaires cachés à l'intérieur de la Citadelle de Québec. Les dépenses extravagantes en mesures de sécurité se sont élevées à plus de 70 millions de dollars! Pourtant, il n'aura fallu que quelques dizaines de camarades déterminés pour abattre en une quinzaine de minutes un pan complet de la clôture du périmètre de sécurité... la foule était en liesse!
Le lendemain, samedi matin, a eu lieu la marche syndicale en Basse-Ville, immense, mais bien loin du lieu de rencontre des chefs d'État et d'entreprises participant au Sommet. Des centaines de personnes ont tout de même choisi de quitter le trajet du cortège officiel qui se dirigeait vers un terrain vague où les attendaient un spectacle et leurs autobus pour se diriger spontanément vers la Haute-Ville rejoindre sur le front les manifestants aux alentours du périmètre de sécurité.
Il y eut évidemment beaucoup de répression pendant le sommet. Plus de 5 000 bombes lacrymogènes ont été lancées en deux jours par la police! Les nuages de gaz ont fini par envelopper la Haute-Ville à un point tel que même les dignitaires participant au Sommet ont été affectés; l'odeur des gaz a pénétré jusque dans les hôtels, obligeant les autorités à sceller les édifices où se déroulaient les travaux du Sommet et à en évacuer une partie... Tard dans la nuit du vendredi, la zone verte, pourtant pacifique, a été violemment attaquée par la police. La répression s'accentuait alors que des mini-fourgonnettes blanches non identifiées remplies d'agents en civil ratissaient les rues à la recherche de proies à embarquer. Plusieurs manifestant-e-s ont ainsi été « cueilli-e-s » au cours de la nuit ... Au total, 481 personnes furent arrêtées et envoyées à la prison d'Orsainville qui avait été vidée pour l'occasion !
Du global au local ...
Après le Sommet des Amériques, la CLAC a continué d’organiser des manifestations et de mobiliser sur des enjeux globaux. On peut penser au 26 avril 2002, lors de la réunion des ministres du travail du G8 à Montréal, où les policiers du SPVM ont procédé à une arrestation de masse préventive avant le départ de la marche; à la manifestation à Ottawa en juin 2002 contre le G8 réuni à Kananaskis en Alberta, ou encore à la mobilisation contre la réunion mini-ministérielle de l'OMC à Montréal en juillet 2003. Mais graduellement, l’essoufflement se fait sentir. Au sein de la gauche radicale et des groupes anarchistes surtout, de nombreux questionnements émergent sur le fait d’être constamment « en réaction » à la liste de priorités des gouvernements. On met de l’avant l’importance de construire un travail de terrain au niveau local, travail qu’on met souvent en opposition avec ce qu’on a appelé « la course aux Sommets » et les mobilisations ponctuelles en fonction de la conjoncture. La critique veut qu’on cesse de travailler sur des enjeux globaux, plutôt abstraits pour la majorité de la population, et qu’on se concentre sur des luttes locales spécifiques, sur des enjeux précis qui touchent les gens plus directement au quotidien et sur lesquels on croit pouvoir construire un travail de base à long terme.
Ainsi, à partir de 2003, on voit émerger une panoplie de petits collectifs qui décident de travailler sur des enjeux spécifiques. Tous les thèmes sont à l’ordre du jour : lutte à la pauvreté et droit au logement, environnement et souveraineté alimentaire, lutte contre l’impérialisme et la guerre, les collectifs de solidarité internationale, les batailles pour les droits des immigrants et des personnes sans statut, la lutte contre le profilage et la brutalité policière, les luttes de quartier, les do it yourself, espaces autonomes et médias indépendants, les luttes des féministes radicales, celles des communistes libertaires, etc. Parallèlement, cependant, on peut aussi noter qu'après 2003, les militant-e-s anticapitalistes montréalais-es participent de moins en moins à l'organisation de mobilisations de masse concernant des enjeux globaux. La CLAC met d'ailleurs fin à ses activités et à sa première phase d'existence en 2006, après une première tentative de réorienter son action en comités de luttes locales sur divers enjeux et une deuxième tentative infructueuse de se restructurer en convergence de groupes plutôt que d'individus.
À l'international... la « solidarité directe »
Né de la rencontre d'activistes lors des mobilisations continentales contre les accords de libre-échange, le Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC) s'est donné comme mission d'articuler une solidarité directe entre le Nord et le Sud. L'optique consiste à mettre en pratique les principes libertaires en faisant vivre les idées anticapitalistes dans des relations durables entre mouvements de résistance, allant ainsi au-delà de la solidarité internationale et de l'aide humanitaire. Le PASC s’est ainsi formé en 2003 après que des militant-e-s libertaires aient eu l'occasion de travailler auprès de communautés paysannes en résistance civile désirant retourner sur leurs terres ancestrales, volées pour la mise en place d'un projet agro-industriel de palme africaine.
La vision de la solidarité qui a inspiré les militant-e-s du PASC, issu-e-s du mouvement anticapitaliste et libertaire, tire ses racines d'une critique du développement et d'une tradition historique d'internationalisme politique. L'aide humanitaire et la solidarité internationale, telles que pratiquées par la majorité des organisations internationales, gouvernementales ou non, participe en effet du néo-colonialisme ambiant en perpétuant la dissymétrie de pouvoir entre le Nord et le Sud et en promouvant le développement et son idéologie de croissance économique. Pour recevoir des appuis, il faut se plier aux priorités du Nord, à ses initiatives et objectifs; et fréquemment, les projets finissent par profiter davantage aux entreprises étrangères qu'à la population locale.
En rupture avec ce paradigme, le PASC propose de sortir de la relation d’aide, d'instaurer un statut d’allié-e et de mettre de l'avant une posture « de solidarité directe », avec l'objectif d'appuyer les initiatives politiques des mouvements alliés et de s’attaquer aux racines des situations de pauvreté et d’oppression. En tenant compte de nos privilèges (richesse, éducation, passeport, etc.) et de notre accès privilégié aux centres de pouvoir et à l'information, il s’agit de tenter de transférer ces mêmes privilèges, au moins en partie, à des mouvements de résistance colombiens. Ainsi, un des objectifs du PASC est de contribuer à augmenter la visibilité et l'impact des dénonciations des allié-e-s colombien-ne-s en lutte concernant les intérêts économiques qui se cachent derrière la violation systématique des droits humains. De plus, envoyer les militant-e-s du Nord en Colombie, et assurer une présence « internationale » auprès des communautés en résistance, contribue à freiner un peu la répression dont elles sont la cible. Enfin, il s'agit aussi de permettre un processus d'échange et d'apprentissage mutuel sur les contextes sociopolitiques et économiques respectifs dans lesquels évoluent nos luttes afin de favoriser la création de ponts et de réseaux de relations entre les mouvements sociaux du Nord et du Sud.
Ainsi, le PASC a découvert en Colombie un mouvement social riche et combatif, mais perpétuellement menacé, ainsi qu'un pays où l'État canadien et de nombreuses entreprises canadiennes ont des intérêts économiques. Ces intérêts se sont manifestés notamment par l'accord de libre-échange signé entre les deux pays. Ainsi, nous avons participé activement avec d'autres alliés à dénoncer l'hypocrisie canadienne dans la signature de l'ALECC [2], alors que l'État colombien est responsable de nombreux crimes contre l'humanité à l’endroit des militant-e-s colombien-ne-s. Nous avons aussi mis sur pied une importante campagne contre « les profiteurs canadiens de la guerre en Colombie » afin de confronter le colonialisme canadien et continuons d'appuyer les luttes de diverses organisations sociales colombiennes contre des projets miniers et pétroliers.
La nécessité de converger
Pendant ce temps ici, durant la période qui a suivi la fin de la première CLAC, à l’exception d'importantes manifestations contre la guerre en Irak et en Afghanistan, seuls deux grands efforts de mobilisation sur des enjeux globaux ont lieu : à Montebello en août 2007 contre la signature du Partenariat pour la sécurité et la prospérité (PSP) entre le Mexique, le Canada et les États-Unis, mobilisation organisée par un groupe d'individus regroupés sous la bannière du Bloc AMP-Montréal, et la manifestation contre le Sommet du G20 à Toronto en juin 2010 organisée par la CLAC-2010, recréée dans le but spécifique d'organiser cette mobilisation. À certains égards, mais sans affiliation formelle, la CLAC-2010 était une continuation de divers efforts menés au cours des dernières années pour faciliter la collaboration et la coopération entre différentes initiatives anticapitalistes à Montréal, dont le Bloc AMP-Montréal.
Un an après la mobilisation contre le G-20 à Toronto et une fois le travail de support aux personnes arrêtées étant en grande partie terminé ou devenu autonome, la question de la suite des choses s'est posée pour les militant-e-s de la CLAC-2010. Face à la disparition de nombreux collectifs militants au fil des ans et devant le constat d'une certaine dispersion des luttes, s'est fait ressentir la nécessité de maintenir un espace d'organisation dont l'objectif soit de rendre visible et dérangeante la perspective anticapitaliste. C'est principalement ce qui a motivé l'idée de recréer la CLAC de manière permanente. La CLAC-Montréal fut donc établie en janvier 2011 à l'initiative de certaines personnes ayant été impliquées dans la première mouture de la CLAC (2000-2006) et dans la CLAC-2010. Un de ses principaux objectifs était de réussir à faire converger au moins en partie les luttes de l'extrême gauche sous le chapeau large de l'anticapitalisme et de faire les liens entre les multiples enjeux des luttes locales et globales, en dénonçant de manière combative le système capitaliste et ses différents systèmes d'oppression (impérialisme, colonialisme, patriarcat, racisme, etc.) ainsi qu'en pointant du doigt ceux qui en profitent.
Ainsi, la CLAC s'est donnée le mandat de porter le discours anticapitaliste en organisant des campagnes et des manifestations, dont celle du 1er mai anticapitaliste chaque année. Son travail était désormais davantage orienté dans une perspective de lutte des classes au niveau local que par le passé, tout en gardant une analyse globale. Ainsi, en plus d'organiser les campagnes du 1er mai anticapitaliste, la CLAC-Montréal a organisé dans les dernières années des manifestations et rassemblements de différents ordres : contre le Grand Prix de Montréal, la Conférence de Montréal (aussi appelé Forum économique international des Amériques), le Parti conservateur, le règlement P6, etc. Nous en appelons également de manière fréquente, en solidarité avec le mouvement social plus large, à des contingents anticapitalistes lors de manifestations contre les coupures dans les services publics, contre la destruction de l'environnement ou lors de manifestations étudiantes.
Bien que depuis cinq ans nos efforts pour faire converger différentes tendances de la gauche radicale n'ont pas porté les fruits escomptés, nous avons tout de même contribué de manière significative à faire vivre à Montréal une tradition résolument anticapitaliste et combative, non seulement dans le cadre de la manifestation annuelle du 1er mai, mais également tout au long de l'année par diverses actions et campagnes. Un de nos fers de lance consiste à démasquer les « ostie de crosseurs du système », cette élite politique et économique qui s'engraisse sur notre dos, campagne symbolisée par le fameux slogan « ils sont riches parce que nous sommes pauvres »! Ainsi, nombre de nos campagnes visent à rendre visibles les engrenages du capitalisme qui soutiennent les inégalités sociales et l'appauvrissement systématique de la majorité tout en permettant l'accumulation dégradante de richesse dans les poches d'une poignée de requins qui nous disent de nous serrer la ceinture.
15 ans plus tard... de nombreux défis !
Il est encourageant de voir que les terrains de lutte occupés par des collectifs anarchistes se sont diversifiés. Il faut cependant reconnaître que, de cette multiplication de collectifs, seuls quelques-uns ont réussi à perdurer. L'existence de groupes effectuant réellement un travail de base sur le terrain et se concentrant sur des enjeux locaux est essentielle à l’enrichissement du mouvement anticapitaliste car leur travail permet de dépasser les moments de contestation plus symboliques et ponctuels des grandes mobilisations et de s’enraciner localement. Cependant, force est de constater que la diversification du milieu anarchiste n'a pas nécessairement mené à la réalisation de ce type de travail, sauf en de rares exceptions. Nous avons plutôt assisté à la naissance d'une multitude de petits collectifs plus ou moins informels qui apparaissent et disparaissent au gré de l'évolution des trajectoires de vie personnelle de ceux et celles qui les composent et nous faisons actuellement face à la dispersion du mouvement libertaire.
Si la mobilisation n'est pas une fin en soi, la construction d'un mouvement anticapitaliste doit nécessairement passer, notamment, par l'organisation et la mobilisation. Pour renforcer le mouvement, il faut des luttes spécifiques qui mobilisent les gens à proximité, mais il faut aussi des mobilisations plus larges pour faire converger toutes ces personnes qui luttent afin qu’elles puissent faire les liens entre leurs réalités respectives; autrement, leurs luttes restent fragmentées. D'autre part, la multiplication de micro-collectifs informels tournés sur eux-mêmes, reniant l'organisation, adoptant une croyance aveugle dans l'insurrection spontanée, et ne croyant pas en la construction d'un mouvement, comprend sa part de risques et de pièges. Il est indispensable de maintenir des organisations visibles et ouvertes auxquelles les personnes puissent s'identifier et se joindre, à défaut de quoi le milieu anarchiste risque de ne devenir qu'une sous-culture marginale. Si nous voulons arriver à créer un mouvement anticapitaliste solide, nous devons choisir des moments et des espaces pour travailler ensemble sur des enjeux plus larges et construire notre rapport de force.
La situation globale actuelle continue d’être dominée par la crise du capitalisme. Partout, les gouvernements adoptent des plans d’austérité qui viennent appauvrir encore plus la grande majorité. Les criminels à cravate continuent de se pavaner de sommet en sommet, alors qu'ils s'entendent en coulisse pour envahir, occuper, dominer et continuer de toujours concentrer davantage le pouvoir et la richesse. Dans ce contexte global, il est nécessaire de faire un effort collectif de réflexion sur l'état des lieux de nos luttes.
Du Sommet des Amériques à aujourd'hui, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de la gauche radicale montréalaise. Quinze ans plus tard, il serait sain d'avoir la maturité politique de prendre le temps de faire un bilan et se livrer à des réflexions collectives. Il serait temps d'amorcer une sincère introspection quant à l’évolution de nos organisations et de nos luttes, ainsi qu’à l’état actuel du mouvement anticapitaliste local. Nous devons dépasser la pensée binaire, malheureusement trop souvent présente chez les militant-e-s; opposition entre luttes globales et luttes locales, entre mobilisation et travail de base, entre organisation et insurrection, etc. Il nous faut faire un saut qualitatif qui permette de formuler une stratégie cohérente, où les différentes formes d’organisation et de luttes que nous menons soient comprises comme étant complémentaires et se renforçant mutuellement si, et seulement si, elles sont articulées. D'un autre côté, les batailles menées par le milieu des organismes communautaires et des syndicats doivent absolument gagner en combativité. Une certaine amélioration se fait sentir à ce chapitre depuis l'élection des libéraux de Couillard, mais il est essentiel de dépasser la lutte et le discours contre l'austérité dans la seule perspective défensive de ne pas perdre nos acquis.
Nous croyons sincèrement que la manifestation du 1er mai anticapitaliste, initiée en 2008 et qui grandit année après année depuis déjà huit ans, est un pas important dans la bonne direction bien qu'elle soit évidemment insuffisante à elle seule. Nous devons travailler à diversifier cette mobilisation en allant chercher la participation d'un plus grand nombre de groupes à son organisation et continuer de faire grandir cette belle tradition. Il faut redonner à nos combats une perspective de lutte des classes qui, contrairement à ce que plusieurs veulent nous faire croire, est non seulement loin d'être dépassée, mais demeure d'une actualité qui crève les yeux, si nous nous rappelons que 62 riches crosseurs possèdent la même richesse que les 3,5 milliards de personnes qui crèvent de faim sur la planète! Dans un pareil contexte, il nous faut multiplier les occasions de faire front commun malgré nos différences et nous avons le devoir de travailler à consolider un mouvement social plus combatif, qui assume une posture résolument anticapitaliste. Nous avons raison de nous révolter et il devient urgent de le faire!
[1] Aujourd’hui Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL).
[2] Accord de libre-échange Canada-Colombie.