Le camion de compost passe désormais dans plusieurs grandes villes en Occident. Il ramasse semaine après semaine, tout comme pour le recyclage et les vidanges, nos détritus urbains avec pour mensonge éhonté qu’il s’agit de la clé à la survie planétaire.
Comment peut-on croire que de faire du compost à Montréal réglera un quelconque problème si les grandes multinationales continuent de produire en masse partout à travers le monde? Peut-on réellement s’étonner que le recyclage est inefficace lorsque l’on sait que les problèmes réels sont la surproduction et la surconsommation? Emma Goldman a dit un jour que « Si voter changeait quelque chose, il y a longtemps que ça serait interdit ». En extrapolant un peu, on peut faire le même constat envers les solutions individuelles que l’on nous propose parmi lesquelles on retrouve le recyclage, le compostage et bientôt le droit à la réparation. Le constat est simple, aucune de ces solutions n’amènent un changement structurel au problème fondamental : le capitalisme.
Ainsi, et contrairement à ce que l’on en dit, le recyclage, le compostage, la fondation en coopérative ou en commune de vie ne doivent pas être prises comme des solutions, mais comme des expérimentations de la société post-capitaliste. Au mieux, il s’agit de formes de luttes et d’étincelles dans le combat contre le capitalisme. Il n’en demeure pas moins une représentation limitée de ce combat puisqu’il y a toujours le danger de voir l’émancipation individuelle comme une finalité, celle-ci n’étant, en fin de compte, qu’une liberté limitée puisque non partagée. Par liberté limitée, on entend ici que toute liberté qui ne supposerait pas la celle de tous et toutes ne serait qu’incomplète. Une liberté incomplète qui n’est possible qu’à travers la domination d’autres personnes. Une forme de liberté qui ferait au fond l’affaire du capitalisme [1].
Le discours individuel est d’autant plus dangereux qu’il suppose la désintégration de la lutte collective face à l’écocide en cours. Cette destruction du collectif au profit de l’intérêt individuel est camouflée derrière le masque néolibéral de liberté collective qui s’atteindrait à travers le prisme de la liberté totale de l’individu [2]. Ce mensonge bien rodé ne sert que le néolibéralisme économique et détruit toute possibilité de solution réelle aux problèmes du capitalisme dont l’écologie fait entre autres partie.
Dans son observation de la société américaine et son système politique, Alexis de Tocqueville [3], en 1835, faisait le constat que dans une démocratie, aucun n’est assez fort pour lutter seul avec avantage [4]. Il n’y a que la combinaison des forces qui puisse garantir la liberté, ajoutant que le pouvoir tente constamment d’isoler les individus en eux-mêmes afin d’asseoir son pouvoir encore davantage. C’est donc dire que, d’une manière macro, toute individualisation des problèmes sociaux ne sert, comme nous l’avons mentionné ci-avant, que le pouvoir en place, les riches, les puissants, bref, ceux à qui bénéficient déjà le système exploiteur capitaliste.
Et pour cause. Si l’on s’intéresse spécifiquement à l’enjeu écologique, en 2017, l’ONG Carbone Disclosure Project estimait que 100 entreprises étaient responsables de 70% des gaz à effet de serre (GES) et que la majorité de ces entreprises provenaient de l’industrie pétrolière. Ainsi, lorsque Radio-Cadenas et consorts nous servent le discours remâché de la diminution individuelle de l’empreinte écologique, qu’il faut faire notre part pour la planète et que la consommation responsable serait la solution à tous nos problèmes, on est clairement en droit de les envoyer chier.
Prendre moins sa voiture? Une solution totalement utopique et insuffisante dans le système capitaliste. Pourquoi? Parce que ce système en est un totalitaire qui nous contraint par toutes sortes de combines, plus mesquines les unes que les autres, à la surconsommation et l’isolement en son soi intérieur, sources d’un bonheur que l’on cherche encore entre deux doses d’antidépresseurs.
Le bonheur, disait l’autre, n’est vrai que lorsqu’il est partagé. En extrapolant à nouveau, on peut affirmer que ce bonheur n’est vrai que lorsqu’il est partagé par tous et toutes, donc que le bonheur est irréel sous le joug du capitalisme. Au mieux, on se contentera du bonheur hypocrite d’une belle petite récolte de tomates dans son jardin, au pire on noiera son malheur en achetant des bebelles sur Amazon, en tentant d’oublier que c’est grâce à l’extractivisme sauvage de la planète qu’Amazon fait ses profits faramineux.
S’il nous advenait de sortir de notre cocon, l’on pourrait toutefois s’apercevoir que la lutte collective est en cours. Qu’elle se bat à coups de ZAD, de Coopératives anticapitalistes en tous genres, de villages et de groupes autonomes affamés de justice sociale et de rétablissement d’un cycle écologique qui redonne sens à nos vies sans saveur.
En fin de compte, ne sommes-nous pas toutes et tous, d’abord et avant tout, dépendant.e.s de la terre?
Ce texte est tiré de la brochure « Coup de chaleur », un recueil de perspectives radicales sur l'écologie en crise, assemblé par la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC).
Notes:
1- Dans un tout autre ordre d’idée, c’est à cette liberté « complète », qui se traduit d’abord par une liberté collective, à laquelle font référence une majorité d’auteurs fondamentaux anarchistes, mais aussicertains auteurs beaucoup plus près de nous comme Hubert Aquin, André d’Allemagne, Andrée Ferretti ou Éric Martin. L’enjeu écologique n’y échappe pas, même qu’il est encore plus vrai que les solutionsindividuelles sont ridicules lorsque l’on parle d’enjeux collectifs comme l’écologie.
2- Liberté individuelle qui trouve toutefois sa limite dans la répression par la « main invisible du marché ». Par exemple, si l’on n’as pas beaucoup d’argent, on ne peux pas se permettre de manger bio, puisque le marché définit que les produits bio valent plus cher que ceux qui ne le sont pas.
3- Alexis de Tocqueville, auteur français issu de l’aristocratie, écrit suite à son voyage aux États-Unisd’Amérique où il constate une « démocratie » qu’il considère beaucoup plus stable. Il met toutefois en garde par rapport à certains maux que peut présenter ce nouvel état des choses, notamment l’apathie politique et le repli des individus en eux-mêmes. Face à une telle situation, le risque serait le despotisme du pouvoir étatique.
4- Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique I (1835).