Les personnes racisées sont victimes de nombreuses discriminations. Par exemple, le revenu moyen des personnes rapportées comme minorités visibles dans le recensement de 2016 est de 30% inférieur à celui des personnes blanches. D’autres manifestations incluent le fait que les usines polluantes et les dépotoirs se retrouvent fréquemment sur des territoires regroupant des populations racisées et autochtones. On pourrait penser que le développement capitaliste préfère simplement les territoires habités par des personnes plus pauvres, mais la richesse n’explique pas tout. La réalité est que le développement capitaliste sert souvent de prétexte pour des politiques racistes. [1]
On constate généralement que l’opinion publique est beaucoup moins réceptive aux arguments des personnes racisées. L’exemple qui s’est produit à Oka cet été est parlant. Suite à l’annonce d’une vente de terrain à Kanesatake pour le développement de plusieurs centaines de résidences de luxe, le conseil de bande a écrit une lettre au promoteur pour lui demander de respecter un traité du 18ème siècle qui leur donnait droit aux terres en question. Notez qu’il ne s’agit ici que d’une simple lettre. iIl n’est même pas question de manifestations, de blocages ni d’action provoquant généralement une couverture médiatique négative. Suite à cette lettre, le maire d’Oka a répondu que la ville serait enclavée par des « cabanes à cigarettes ». Cette caricature de la culture autochtone décrédibilise les interlocuteur·trice·s autochtones et rend particulièrement difficile les revendications des communautés non-blanches, notamment à cause du racisme présent dans l’opinion publique.
Ce racisme est renforcé par le fait que les communautés racisées ont plus de difficulté à se défendre légalement contre ce genre d’attaques. Elles ont un plus faible taux de diplomation que les communautés blanches, et, conséquemment, des revenus plus faibles, ce qui leur offre peu de moyens pour engager des avocat·e·s, quand il y en a qui sont prêt·e·s à défendre leur cause. Les communautés se retrouvent donc encore plus marginalisées.
Un autre aspect important du racisme environnemental est que la géographie des communautés autochtones n’est pas prise en compte dans le développement territorial québécois ou canadien. En effet, les pinèdes, les rivières et les animaux n’ont pas de valeur marchande pour les gouvernements avant leur exploitation comme ressource naturelle. La conséquence est qu’il ne sont même pas considérés comme aussi importants que les ponts, les mines, les pourvoiries ou les barrages. Cette distinction majeure fait que les décisions prises par les autorités pour l’aménagement du territoire désavantagent systématiquement les communautés autochtones en dévaluant leurs ressources. Un exemple particulièrement frappant est la noyade de 10 000 caribous dans la rivière Caniapiscau en 1984 lors d’une ouverture massive des vannes par Hydro-Québec. Cet exemple démontre comment les différences de valeur portée au patrimoine bâti, à la faune et à la flore sur le territoire, sur lequel pour le Capital rien n’existe avant d’être colonisé, cause des torts irréparables aux communautés qui y vivaient.
De la même façon, l’importance pour les communautés racisées et autochtones [2] d’être regroupées est une autre forme de valeur nonconsidérée dans les projets de développement. À Québec par exemple, le Chinatown a été rasé afin de faire place à l’autoroute Dufferin-Montmorency au début des années 70s. En Nouvelle-Écosse, le cas d’Africville est particulièrement éloquent : Africville est un quartier noir depuis le milieu des années 1860, fondé par des loyalistes noirs [3]. Africville a vu, sur son territoire, la construction d’un abattoir, d’un dépotoir et de nombreuses lignes de chemins de fer, avant de subir une destruction complète en 1965. Dans ces deux cas, ce sont des communautés qui furent divisées pour être mieux invisibilisées dans la trame urbaine.
Ainsi, au-delà des simples préoccupations économiques, à l’intérieur même de nos frontières, les personnes blanches sont moins sujettes à subir des développements polluants et envahissant dans leurs quartiers. Malgré les disparités notoires de santé et de qualité de vie des populations pauvres, les populations racisées et autochtones sont particulièrement touchées par les projets de développement et les conséquences d’un racisme supporté par les grands pontes du capitalisme. Nos élites restent au pouvoir en flattant dans le bon sens la majorité silencieuse blanche. Cela se traduit concrètement par des projets économiques ayant un impact disproportionné envers les communautés racisées. Nos luttes se doivent donc de dépasser le « pas dans ma cour », parce que la conséquence est souvent que le problème se retrouve dans la cour des plus vulnérables. Il faut cibler le problème à sa source, soit la croissance économique perpétuelle nécessaire à la survie du capitalisme. Au final, l’abolition de cette mentalité économiciste destructrice est nécessaire pour s’attaquer fondamentalement au problème du racisme qui gangrène nos sociétés.
Ce texte est tiré de la brochure « Coup de chaleur », un recueil de perspectives radicales sur l'écologie en crise, assemblé par la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC).
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- 1- L’argumentaire présenté est une adaptation de l’argumentaire d’Ingrid Waldron dans "Re-thinking waste: mapping racial geographies of violence on the colonial landscape", 2018.
- 2- Aussi culturelles, linguistiques ou même politiques, mais cela dépasse le propos de cet article.
- 3- Personnes de descendance africaines ayant rejoint les forces loyalistes anglaises durant la guerre d’indépendance américaine, sous promesse d’être affranchies.