Après plus d'une décennie de lutte, des personnes arrêté·e·s lors de 16 manifestations qui se sont soldées par des arrestations de masses entre 2011 et 2015 ont finalement obtenu gain de cause face à la ville de Montréal et au SPVM en signant une entente hors-court pour obtenir dédommagement pour les tords subis. La ville s'est engagé à leur verser 6 millions de dollars en compensation financière - divisé entre les centaines de personnes touchées et après déduction des frais d'avocats, c'est une somme disons-le plutôt symbolique - ainsi qu'à produire des excuses publiques et à les afficher sur leur site Internet durant 90 jours. Le 14 mars 2023, à l'initiative des requérant·e·s des recours collectifs, du Comité Permanent de Soutien aux Manifestant·e·s et de la Ligue des Droits et Libertés, une conférence de presse est organisée pour dénoncer à la fois les pratiques du SPVM qui ont donnés lieu à ces recours, mais également la mauvaise foi de la Ville de Montréal et de son administration actuelle qui a caché ses excuses dans un .pdf au bas d'une page obscure au fond de leur labyrinthique site web. Voici le communiqué rédigé par la CLAC qui a été partagé lors de cette conférence de presse.
Bonjour,
On aurait aimé être présent·e·s en personne, mais on voulait pas rendre la tâche plus facile au SPVM pour remplir ses fiches; faut bien que le 800 millions de budget servent à quelque part. On tenait quand même à souligner l'importance de cette victoire juridique tout en la contextualisant avec un portrait plus large de la répression policière.
D’abord, il faut reconnaître que des excuses publiques face à la violence policière, c'est non seulement rare, ça l'arrive presque jamais, et lorsque ça l'arrive, comme aujourd'hui, c'est parce que les mouvements sociaux réprimés étaient principalement composés de personnes blanches. Au cours des mêmes années visées par les recours collectifs, entre 2012 et 2017, il a été déterminé par la commission Viens que 75% des constats d’infraction distribuée à Val-d’Or ont été donnés à des personnes autochtones. Vous vous souviendrez qu'alors plusieurs allégations ont fait surface pour dénoncer les violences policières, notamment des violences à caractères sexuels envers les femmes autochtones. Qu'aucune accusation n'a été portée sur les policiers de la SQ après l'enquête. De plus, la SQ a même poussé jusqu'à demander ses propres excuses au gouvernement du Québec pour supposément ne pas avoir été impartial devant les faits et poursuivi en diffamation Radio-Canada pour son journalisme d'enquête. Non seulement le directeur de la SQ au moment des actes de violences policières a refusé de s'excuser, mais Valérie Plante l'a même accueilli comme directeur du SPVM ! Dans ce cas précis, comme dans la vaste majorité des cas de brutalité policière, il n'y a pas eu d'excuses. Faut-il également rappeler que le gouvernement actuel refuse explicitement de reconnaître la présence du racisme systémique malgré le fait que l'observatrice civile le reconnaisse.
De la même façon, en 2020 à Montréal, 40% de contraventions ont été données à des personnes en situation d’itinérance, parce que les adresses enregistrées dans le registre des contraventions correspond à l’adresse d’un refuge pour personne sans abris. Ces personnes non plus ne recevront pas d'excuses. Ni les femmes autochtones, qui sont 11 fois plus susceptibles d'être interpelées par la police que les femmes blanches. Ni les populations noires victimes de profilage racial pourtant avoué par le SPVM sans s'excuser.
Dans le contexte de toutes ces violences racistes, coloniales et de classes, la ville s’excuse à nous, des étudiant·e·s, des travailleur·euse·s, quelques chômeur·euse·s, mais quand même des gens qui s’en sortent assez bien. Ça nous montre c’est quoi la justice, un système où l’on s’excuse quand on arrête des personnes principalement blanches et potentiellement pas si pauvres, mais où l’on ignore les violences systémiques de la police envers les plus vulnérables.
Ensuite, les arrestations de masse ne sont que la pointe de l’Iceberg des pratiques malhonnêtes, des violences et des injustices commises par la police et le système de justice. À chaque fois que l’on remet en question la violence perpétrée par la police ou que l’on tente d’organiser un rassemblement anticapitaliste, on est menacé-e-s, filmé-e-s, lorsqu’on est pas littéralement attaqué-e-s à coup de gaz, de poivre et de matraques. Et surtout, à chaque fois qu’il y a arrestation, les personnes racisées, les femmes et les personnes non-binaires ou trans subissent des violences supplémentaires au mains des policiers. À ce titre, les arrestations de masses sont très loin d'être les pires violences qui sont vécu·e·s par les militant·e·s, pour lesquelles aucune excuse ne sera faite et aucune compensation ne sera offerte.
Petite parenthèse pour dire que les 6 millions obtenu en compensation représentent moins de 10% de l'augmentation budgétaire du SPVM cette année seulement. Si la ville cessait son délire sécuritaire, on pourrait peut-être avoir des logements sociaux qui ont de l'allure. On dit ça de même.
Finalement, il ne faut pas se leurrer, ces excuses ne changeront rien, tout comme la longue liste des enquêtes sur la police depuis des décennies qui ont parfois mené à des réformes toutes plus inutiles les unes que les autres. En 1984 déjà, Jean-Paul Brodeur publiait un ouvrage étudiant une vingtaine de commissions d’enquête sur la police au Québec depuis le 19e siècle. Ses conclusions sont claires: rien ne change. On se rappelle aussi les résultats de l’enquête sur les pratiques policières lors du sommet du G20 à Toronto : malgré toutes les violences commises, rien n’a réellement changé. Les mêmes blâmes ont été exprimés durant la commission Ménard après les grèves étudiantes de 2012, encore là rien n'a changé. Toutes les études et les commissions d’enquête plus récentes arrivent aux mêmes conclusions. Devant l'échec des tentatives répétées de réformes de la police, on est en droit d'en arriver à un constat : c'est pas de la faute à quelques pommes pourries, c'est le verger au grand complet qui est infesté par la pourriture, des racines aux bourgeons! Aujourd'hui, si on obtient des excuses, c'est seulement à cause du combat mené par des personnes requérantes qui ont réussi à obtenir ces gains au bout d'une décennie. Merci à vous tou·te·s de pas avoir lâché le morceau et d'avoir démontré une fois de plus que les chiens de garde de l’État n’ont pas de laisses et que c'est seulement par la lutte qu'on pourra mettre fin à leurs violences.
Continuons de lutter, car seule la lutte paie (dans ce cas-ci, littéralement!). C’est pas les gouvernements ni la police qui nous protègent des bouleversements climatiques, de la montée de l’extrême droite, de la hausse du prix des logements ou de la hausse du coût de la vie. Au contraire, le SPVM participe directement, activement et violemment à réprimer la résistance contre ces fléaux qui menacent nos existences. C’est pour ça qu'on continue à manifester le 15 mars contre la brutalité policière ou de célébrer la tradition anticapitaliste du 1er mai.
En terminant, parce qu'on sait que malgré les excuses pis les belles paroles, la répression va continuer, on profite de l'occasion pour vous annoncer la relance du fonds d'autodéfense juridique de la CLAC afin de soutenir les militant·e·s arrêté·e·s. Le SPVM a peut-être finalement compris que les arrestations de masse ne sont plus acceptables, mais ils utilisent juste d'autres moyens pour nous empêcher de manifester contre le système qu'il protège. Le fonds de la CLAC vise à autonomiser nos moyens de défense face à la répression policière et judiciaire de plus en plus utilisée pour nous décourager de s'indigner.
La convergence des luttes anticapitalistes (CLAC)
Ce document est aussi disponible en .pdf (et plus facilement trouvable que les excuses de la ville sur leur site)