« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.
La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.
La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.
Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »
-Helder Pessoa Câmara
Tout mouvement, toute organisation et touTE militantE échappent rarement dans le cadre de son implication politique au débat, bien trop souvent stérile, sur la violence et son usage politique dans les sociétés dites « libres » et « démocratiques ». Si seulement il ne s’agissait que d’un débat d’idées, d’une question de principes ou d’idéologie, il serait possible de se contenter d’un désaccord avec ces personnes que nous considérions comme des camarades de lutte. Bien malheureusement, la question de la violence se répercute bien trop souvent sur la solidarité affinitaire des mouvements et mène à l’isolation et la criminalisation des cellules dites radicales. Pire encore, certainEs ferventEs de l’idéologie non violente, neutralisée et désincarnée de sa réalité historique, participe activement à la dénonciation et délation des activistes faisant l’usage de la violence comme méthode d’action contre ce qui représente à leurs yeux le visage de l’exploitation et de l’oppression.
Cette désolidarisation par les mouvements qui se réclamant de la non-violence participe à la répression indirecte, qui passe par le profilage politique, l’espionnage de certaines organisations politiques, le fichage et l’acharnement policier sur les militantes et militants associéEs à des mouvements reconnus pour leur usage de la violence. Elle participe aussi à la répression directe des actions et des mobilisations révolutionnaires et radicales, qui se matérialisent par la matraque, le gaz lacrymogène, le poivre de cayenne, les bâtons cinétiques, les flash-bang. Ces méthodes qui ont démontré leur potentiel destructeur autant sur le corps que la santé psychologique des activistes.
Dans ce contexte, le débat sur la violence ne peut être remisé et doit, encore une fois, avoir lieu, surtout dans les contextes historiques, politiques et économiques dans lesquels se retrouvent les rapports sociaux de notre quotidien. Se retrouvant dans une phase plus vicieuse que jamais du capitalisme, mené par des crosseurs grassement rémunérés pour saigner les pauvres et appauvrir les autres; ces mêmes bouffons qui s’éclatent la rate lorsqu’ils peuvent regarder s’effondrer sous leurs yeux la solidarité des oppriméEs polluéEs par une trop longue liste de systèmes de domination. Il est temps que l’action directe retrouve ses lettres de noblesse et que le pacifisme collabo cesse. L’état a trop souvent réussi à fragmenter les mouvements en utilisant les clivages créés par le refus moral de certaines tactiques.
Tant que nous resterons sagement à notre place et que nous nous contenterons de quelques manifestations sans lendemain, la violence du système restera voilée et systématique. Elle s’attaquera en premier à celles et ceux qui se retrouvent là où sont coconstruits les systèmes d’exploitation et d’oppression patriarcale, capitalistes, suprémacistes et colonialistes. Cette violence systémique se traduira par les effets dévastateurs des politiques antisociales des gouvernements sur les conditions matérielles d’existence de nos camarades. Parce qu’il faut bien le dire, clairement et fortement : nos sociétés reposent sur une incroyable violence systémique qui s’assure, discrètement, derrière le décor, que la société continue de fonctionner au profit de quelques-uns et au détriment de l’immense majorité. Cette violence est celle qui est exercée tous les jours, le fonctionnement normal du système : c’est celle qui prive d’un logement décent, d’une nourriture saine, de soins de santé de qualité. C’est celle qui exploite sans remords les uns aux profits des autres, qui renforce les inégalités sociales et genrées, qui force la compétition au détriment de la solidarité.
L’État n’est pas neutre, et les conflits sociaux ne se règlent pas par une saine discussion avec un gouvernement. L’État est l’outil des classes dominantes, contrôlées largement par les élites économiques, et la lutte est avant tout dans la construction d’un rapport de force qui implique nécessairement la violence : celle que nous présente la force brute de l’État, gardienne de la violence systémique, et celle de la libération. Les renversements historiques qui ont lieu dans l’histoire humaine furent rarement le fait d’un dialogue. Un dialogue suggère des forces égales, ce qui dans le contexte actuel des choses n’est que fantaisie : l’organe décisionnel qu’est l’État fonctionne en concubinage avec les capitalistes qui tiennent la laisse bien serrée pour éviter de perdre leurs précieux intérêts financiers acquis à la sueur et au sang des exploitéEs.
La tendance pacifiste a bien tenté de renverser la vapeur, au mieux elle aura réussi à ralentir la course effrénée, mais ne nous empêchera pas de frapper le mur qui nous attend au bout de la croissance infinie. Au risque de faire dérailler le train, il est temps que les organisations impliquées dans la lutte contre le capitalisme abordent sérieusement les moyens d’action et de pression réels et effectifs et se réapproprient la violence systémique de l’État pour la transformer en force révolutionnaire.