Nous sommes un groupe de jeunes militant·e·s, nous ne militons que depuis quelques années. Ayant participé à différentes organisations écologistes, nous avons, de cette expérience, réalisé les limites de ces organisations dans l’efficacité de nos luttes. Dans les derniers mois, nous avons donc décidé vouloir chercher à affaiblir économiquement les entreprises fossiles par nos actions. Ceci a donc impliqué plus de questionnements, de préparation, de réflexions et d’idées. C’est de ces choses que nous aimerions parler dans ce texte.
Au départ, la plupart d’entre nous sommes arrivé·e·s à un constat. La lutte écologiste est dans une embûche. Nous répétons des actions d’une même intensité (que l’on soit 20 000 ou 500 000 dans les rues) pour une cause qui devient radicalement plus urgente. Nous nous plaignons du manque d’écoute du gouvernement, mais nous choisissons de rester dans une position passive, toujours dans une position de demande alors que nous avons déjà accumulé toutes les preuves pour déchanter. Souhaitant être lucides tant sur l’efficacité de nos méthodes que sur le peu de marge de manoeuvre qu’il nous reste, nous avons senti la nécessité d’en faire plus et de faire mieux. Ces réflexions ont également émergées à la suite de lectures telles que «Comment saboter un pipeline» d’Andreas Malm; de lectures sur l’historique du mouvement d’Earth First: «À bas l’empire vive le printemps!» et de lectures sur les réflexions des ZAD ainsi que des groupes écologistes actuels.
Certain·e·s nous diront que cette réflexion aurait dû nous venir bien avant. Peut-être ont-iels raison. Il en reste qu’il est absurde de demander à un·e militant·e de passer de l’inaction à l’action la plus radicale. Chaque militant·e accumulera ses expériences qui lae mènera à une réflexion sur l’efficacité de ses actions. Chacun·e de nous pourra ensuite évaluer ce qu’iel peut faire en fonction de ses désirs et ses capacités.
Nous avons donc commencé à réfléchir sur ce qui serait à notre portée et aurait une certaine efficacité. La première barrière évidente qui se dresse est celle de la loi. Nous estimons qu’à l’heure actuelle, chacun·e doit réfléchir à sa capacité et à sa volonté à transgresser les lois en vue d’une action impactante. Accepter de prendre des risques légaux demande du temps, c’est un processus psychologique qui n’est pas à négliger, être à l’aise avec les actions qui s’en suivent d’autant plus. Cette prise de risques peut remettre en cause certaines de nos aspirations et nous remettre en face de nos privilèges et de ce que ceux-ci peuvent impliquer comme responsabilités. Nous invitons donc toute personne ayant une volonté d’intensifier son militantisme à réfléchir aux risques légaux qu’elle est prête à prendre. Ultimement, nous y voyons une nécessité afin d’avoir un plus grand impact. Il s’agit de faire un juste équilibre entre le risque pris et l’impact envisagé. Nous ne cherchons toutefois pas à nous faire arrêter «pour se faire arrêter» ou dans une optique de désobéissance civile devant public. Nous ne voulons plus être dans une position de demande aux dirigeant·e·s, mais dans une optique d’affaiblissement économique direct en vue du forçage d’une prohibition des énergies fossiles.
La deuxième barrière qui se dresse est celle de la préparation. Nous n’avons pas été préparé·e·s pour faire ce type d’action et l’information reste (avec raison) cachée. Nous avons dû creuser différentes sources par nous-mêmes afin d’apprendre certaines techniques, afin d’avoir une bonne protection légale, afin de communiquer entre nous de manière sécurisée. Toute cette préparation demande plus de temps. Toutefois, si nous souhaitons intensifier notre lutte, il nous faut sortir des sentiers battus et tenter d’apprendre du mieux que nous pouvons par nous-mêmes. Au travers de ce processus, il va y avoir des essais ainsi que des erreurs et nous ne serons pas tous·tes des militant·e·s parfait·e·s du jour au lendemain. Ce manque de préparation et de connaissances ne doit pas être un frein à l’intensification de nos actions, il nous demande seulement de nous libérer du temps afin d’apprendre par nous-mêmes et de partager nos connaissances.
La troisième barrière qui se dresse est celle de notre (in) expérience liée à notre âge et notre réseau de connaissances. Nous faisons partie d’une nouvelle génération de militant·e·s qui, essentiellement, n’a pas connu les grandes dates des luttes militantes du «Québec». Cette inexpérience nous amène à avoir moins de pratique, mais aussi moins de connaissances sur les structures et les manières de faire militantes (le dit «savoir militant»). Cette inexpérience peut également susciter la méfiance de camarades militant·e·s plus âgé·e·s nous percevant comme naïf·ive·s ou inaptes à militer en vue d’une augmentation des moyens de pression. Cette méfiance a ses raisons d’être, mais il en reste que nous aurions plus à gagner en nous unissant autant que possible et en partageant des savoirs qui ont été effacés avec la dissolution de l’ASSÉ et l’épuisement militant. Nous ne mettons toutefois pas de côté la nécessité de s’organiser en groupe affinitaire pour bâtir la confiance et être plus sécuritaire.
Finalement, la quatrième barrière qui se dresse, que l’on sent à l’intérieur de nous peut-être sans se partager, est une barrière émotionnelle. Abaisser ses craintes face aux actions que l’on fait; faire face aux confrontations avec la police et aux techniques d’intimidation de celle- ci (nous reconnaissons par le fait même que, pour certaines personnes, confronter la police n’est pas une question de choix); développer le courage nécessaire pour se faire confiance dans les nouveaux chemins que l’on emprunte au-delà de l’approbation sociale: toutes ces choses demandent un travail émotionnel qui prend du temps d’autant plus que l’on peut porter en nous l’image du parfait révolutionnaire qui n’a peur de rien, qui confronte la police sans gêne, peut-être même avec le sourire et que l’on croit que cela n’est qu’une question de nature. Alors que nous, dans nos vies, nous souhaitons prendre soin les uns des autres, favoriser la compréhension des points de vue et faire émerger la bienveillance, notre travail à l’extérieur nous demande de nous raffermir, de faire face à nos peurs, d’exprimer notre colère et de prendre notre place légitime même si cela demande de se confronter à l’ordre du monde. Ce travail sur notre nature et sur nos émotions doit être vu non comme une barrière, mais comme une invitation à développer des cercles de partage pour faire ce travail ensemble plutôt que seul·e. Il faut voir qu’ultimement, le développement de ces qualités va nous permettre de vivre une vie qui se rapproche de nos idéaux et nous permettre d’être plus heureux·ses.
En repoussant le plus possible ces barrières, nous avons donc préparé minutieusement notre action. Celle-ci visait à nuire à des stations à essence en vue de les rendre inopérables pour quelques jours. En cours de chemin, nous avons eu nos difficultés. Un endroit était finalement surveillé et un autre a été fermé quelques semaines avant notre action, rendant celle-ci inutile. Nous avons toutefois acquis une expérience de terrain par laquelle nous avons affronté nos peurs et retenu des leçons de nos erreurs. Il est donc nécessaire de se mettre à l’action, même si nous ne sommes pas des militant·e·s parfait·e·s, même si nous ne connaissons pas tout. L’important, c’est de s’organiser du mieux possible, mais surtout, de passer à l’action puisqu’essentiellement, ce qui finit par nous retenir, ce sont nos propres peurs ou notre manque de temps.
En conclusion, nous croyons en la nécessité de faire évoluer la lutte vers une pluralité d’actions directes. Nous voulons, par ce texte, témoigner qu’il n’est pas nécessaire de tout connaitre, qu’il est normal qu’il y ait plusieurs barrières qui se dressent sur ce chemin et que nous pouvons, tou·te·s par nous mêmes, acquérir le savoir et les réflexions nécessaires à cette fin. Les luttes écologistes sont à l’agenda pour les prochaines années. Ce sont des luttes que nous n’avons pas le choix de gagner. Nous aimerions que les prochaines personnes qui vont s’organiser dans le contexte de la crise écologique ne prennent pas le cheminement pacifique type. Nous souhaitons également faire un appel aux militant·e·s de générations précédentes à nous partager leurs savoirs afin d’avancer ensemble. Nous ne mettons toutefois pas de côté l’impact qu’a eu la répression chez certain·e·s de nos ami·e·s. Nous reconnaissons le courage des personnes qui participent ou ont participé dans toutes les formes de tâches des luttes passées et présentes.
–L’Histoire Nous Regarde