Les 26 et 27 juin dernier, plus de 1000 personnes ont été arrêtées dans le cadre des manifestations organisées contre la tenue du G20 à Toronto. Cette opération de répression policière et d’arrestations massives et arbitraires est d’une ampleur sans précédent dans l’histoire du Canada. Les policiers ont violé sans entrave les droits fondamentaux des manifestantEs. Ils ont procédé à des entrées par effraction sans mandat chez des militantEs, à des fouilles illégales systématiques sur la rue, à des enlèvements de manifestantEs effectués par des agents en civil ; ils ont détenu des gens durant des heures sans accusations formelles, ont fait des menaces à caractère sexuel contre des femmes et ont utilisé toutes sortes de tactiques d’intimidation psychologique contre les personnes arrêtées.
Mais il faut replacer cette violence étatique dans son contexte social, économique et politique. Suite à la crise financière et au détournement de fonds publics vers les banques, qui ont débouché sur des déficits budgétaires dans la majorité des pays occidentaux, la question de la dette est utilisée comme prétexte parfait pour accélérer la mise en œuvre des mesures économiques ultra néo-libérales et anti-sociales de la droite dans les pays du Nord. Les populations occidentales subissent la mise en place d’une série de mesures d’austérité budgétaires de la part de leurs gouvernements respectifs (hausses de taxes, coupures dans les programmes sociaux, privatisation des services, etc.) qui font reculer leurs acquis et mènent tout droit vers la précarité. Dans les pays du Sud, les populations souffrent de cette violence économique depuis déjà bien longtemps, et s'est pourquoi on y voit plus de contestation sociale qu'au Nord. Mais on y constate également plus de répression politique. En fait violence politique et économique vont de pair.
Il faut être conscient que le gouvernement Harper prépare le terrain. Les gouvernements savent que plus ils vont accélérer leurs mesures d’appauvrissement, plus la grogne populaire risque de se radicaliser. Lors du Sommet du G20 à Toronto en juin dernier, l’État canadien a voulu faire l’étalage de sa force et démontrer aux manifestantEs de quoi il est capable. Le message était clair : les libertés civiles peuvent être suspendues à tout moment si l’État en décide ainsi. Vous serez écrasés et votre message sera invisible, car la manipulation médiatique sera telle que les victimes de la répression seront montrées comme des criminels, afin que la population accepte l’action de l’État.
En situation de crise ou face au mécontentement social, le rôle de l’État est de montrer que lui seul a le monopole de la force. C’est un principe de base bien connu de « stratégie de la guerre » ; montrer à l’ennemi la supériorité de sa force en déployant un arsenal si impressionnant qu’on le dissuade d’agir, tentant ainsi de gagner la guerre avant même qu’il y ait conflit.
Ainsi, à Toronto, l’objectif de l’État canadien vis-à-vis le mouvement de contestation de masse était de terroriser et de décourager les gens de manifester. On veut que le travailleur moyen, la chômeuse ou l’étudiante, hésitent à se rendre dans de grandes mobilisations par peur de revivre ce degré de violence ou par peur de risquer l’arrestation, les frais d’avocats et le casier judiciaire. L’État a voulu intimider et « donner une leçon » aux manifestantEs. Pour ce qui est du message qu’il a voulu livrer aux anticapitalistes et aux anarchistes : leur rappeler qu’être l’ennemi du système a un coût et des conséquences. En portant des accusations de complot d’une sévérité sans précédent contre une poignée de boucs émissaires qu’on essaie de faire passer comme les leaders du mouvement, l’État cherche à déstabiliser, à semer le doute dans les esprits. La chasse aux sorcières continue des mois après la fin du Sommet ; de nouveaux mandats d’arrestation sont annoncés périodiquement pour continuer à faire planer la menace, comme un outil de dissuasion et de contrôle.
Partout dans le monde la répression politique à un modus operandi qui comprend diverses tactiques : l’action des services de renseignements (surveillance, interceptions des communications, filatures, infiltrations, montages et sabotages), la diffamation publique (entre autres par le biais des médias), et la criminalisation (par le biais du système judiciaire). Ces tactiques sont déployées à différents degrés selon le contexte national où l'on se trouve.
À l’heure où les crimes d’État sont de plus en plus banalisés sur la scène internationale et que la sécurité nationale prime sur les droits individuels et collectifs, le discours des médias de masse façonne l’opinion publique en faisant un dangereux amalgame entre résistance populaire, criminalité et même terrorisme. Cette désinformation, qui vise à délégitimer l’action politique et la stigmatiser aux yeux du public, pose de sérieux défis. Nous devons démasquer les intérêts économiques qui se cachent derrière l’État et son appareil répressif et éviter de tomber dans le piège de la dépolitisation de notre discours pour se retrancher uniquement dans la défense de droits. Il est crucial de mener une réflexion quant aux stratégies que nous devons mettre de l’avant, pour réaffirmer la légitimité de nos actions et de notre lutte face à la potentielle criminalisation de nos organisations ou de ses membres. Mais pour cela, il nous faut atteindre la maturité politique qui nous permettra d’être autocritiques, d’analyser à tête reposée les stratégies que l’État déploie contre le mouvement anticapitaliste et avoir la capacité de réévaluer nos modes d'organisation et nos tactiques quand le contexte l’exige, afin de les améliorer et de faire avancer notre lutte pour un changement social radical.
En associant militantEs pour le changement social, criminalité et, ultérieurement, terrorisme, l’État et les médias corporatifs (fervents défenseurs du statu quo) visent à museler les organisations, à entacher leur réputation et à les marginaliser. Dans ce contexte, les anticapitalistes ne peuvent pas se permettre de s’isoler du mouvement social plus large, même si celui-ci est encore faible. Notre seule avenue est de construire un rapport de force et pour cela nous devons remédier à l’actuelle dispersion du mouvement. Plus que jamais, il nous faut unir les diverses luttes spécifiques que mènent nos groupes libertaires au quotidien, que ce soit sur une base locale ou internationaliste, dans un mouvement anticapitaliste fort, et l’articuler aux luttes populaires plus larges, afin de les amener à se mobiliser avec nous contre le capitalisme et ses attaques incessantes sur nos vies !