Tentatives grossières de réformer le capitalisme

Dans une société capitaliste, il est dans l’intérêt des personnes qui se retrouvent en haut de la pyramide de laisser croire à la population qu’elles sont de son côté. Les « compromis » effectués et les « acquis » octroyés sont ce que l’on pourrait appeler des réformes, dont les élites sont d’ailleurs les seules véritables bénéficiaires. En effet, par leurs réformes, ces élites tuent la révolte, embobinent le peuple et maintiennent le statu quo.

Lobbyisme

Le lobbyisme vient du mot « lobby », qui était l’endroit au parlement britannique où des groupes de pression allaient faire valoir leurs intérêts auprès des élus. Le terme est depuis employé pour désigner les groupes d’intérêts eux-mêmes, qui tentent d’influencer par leur discours l’État, la population, et souvent même la recherche scientifique et les médias.

Le lobbyisme est aussi devenu pour l’État une façon de contourner l’opinion publique et les revendications sociales. il engage des firmes pour formuler un discours qui séduit la population et qui fait passer en douceur des lois et des réformes qui, autrement, ne seraient probablement pas acceptées.

Pour les compagnies privées, c’est une excellente façon de s’octroyer des contrats ou de saboter les efforts des compétiteurs. C’est par l’utilisation de leurs lobbyistes que les recherches scientifiques sur l’environnement sont ralenties ou détournées de leurs objectifs, que le choix des subventions est orienté, souvent en leur faveur. Pour les compagnies pétrolières, c’est le moyen privilégié pour influencer les lois sur l’environnement à leur avantage. Le lobbyisme corporatiste permet aussi aux entreprises, par exemple, de mettre sur le marché des produits douteux tout en conservant leur image publique.

Le lobbyisme, qui se veut un mécanisme de défense des intérêts d’un groupe d’opinion particulier, pourrait être quelque chose de positif, mais pas dans un contexte capitaliste. En effet, depuis des décennies, le lobbyisme n’est accessible qu’aux personnes qui ont les moyens de se l’offrir: l’État, le patronat et les grandes entreprises.

Gauche électorale

Pour contrecarrer le capitalisme, les organisations de gauche optent généralement pour la solution électorale. Avoir une voix de gauche au gouvernement serait la solution pour renverser les partis de droite. Non seulement cela offrirait l’occasion de propager des idées plus progressistes et sociales, mais cela permettrait de vraiment changer les choses, puisqu’on aurait un pouvoir de décision plus important.

Cette idée de changer le système de l’intérieur est vue par ces organisations comme la meilleure option, mais la plupart du temps, pour ne pas dire tout le temps, ça ne sert à rien. En effet, comment peut-on apporter des changements significatifs en tenant les rênes du pouvoir sur un territoire donné alors que le système capitaliste est mondial? De plus, pour arriver à changer le système de l’intérieur, il faut que l’intérieur veuille changer. La gauche électorale ne s’attaque pas à l’élite en place, ni aux privilèges économiques d’une partie de la population (patronat, banques, multinationales, riches, etc.), et se plie au cadre politique dans lequel elle agit. Et ce cadre ne date pas d’hier! Ça fait longtemps que le capitalisme est ancré dans notre système politique, ce sont des années et des années de magouilles et d’engrenages qui ne changeront pas du jour au lendemain, même si on opère de l’intérieur. Les échecs successifs des partis socio-démocrates sont dus à la nature même de l’électoralisme comme stratégie politique.

Devoir œuvrer dans un système politique, économique et social capitaliste, devoir se plier à ses règles et s’adapter aux torts déjà causés ne peut mener qu’à des compromis. Les compromis impliquent de prioriser certains projets au détriment d’autres, parce qu’il « faut être raisonnable » et « ne pas trop en demander » si on veut avoir une chance d’être élu ou réélu. Les compromis profitent rarement à l’ensemble de la population, mais souvent à une minorité. De plus, les compromis sont souvent bien loin des revendications qui en sont à l’origine. Tranquillement, cette « gauche » dérive vers le centre... puis de plus en plus vers la droite en appliquant des programmes économiques néolibéraux ou en usant d’autoritarisme. Prenons, par exemple, le Parti québécois (PQ), qui, dans ses débuts socio-démocrates, était un parti de travailleurs et de travailleuses. il a pris des décisions pro-syndicales et a favorisé une perspective de réforme des programmes sociaux pour les rendre plus accessibles. Pourtant, si on regarde la dérive qu’il a prise depuis belle lurette, il a été au premier rang pour couper dans les services publics et pour donner des cadeaux à ses petits amis. il a depuis longtemps oublié les idées qu’il défendait et le peuple qu’il prétendait servir.

Pour donner un exemple plus récent, on n’a qu’à penser à Québec solidaire (QS): ce parti résulte de la fusion de l’Union des forces progressistes (UFP) et d’Option citoyenne. L’UFP avait elle-même résulté de la fusion de trois partis socialistes (Parti de la démocratie socialiste [PDS], Parti communiste du Québec [PCQ] et Rassemblement pour l’alternative progressiste [RAP]). Le programme actuel de QS est beaucoup plus centriste que ne l’était celui de ses différentes constituantes, sans même que le parti ait pris le pouvoir!

Classe moyenne

Dans les pays riches, la classe moyenne est sans doute le meilleur exemple pour démontrer les véritables objectifs et intérêts qui se cachent derrière les réformes. Les réformes, au premier coup d’œil, ont l’air de bénéficier à la population, d’augmenter le niveau et la qualité de vie des gens. Mais la grande majorité d’entre elles sont créées en fonction des intérêts du patronat avant d’être mises en application par le gouvernement.

La classe moyenne est apparue en temps de crise, alors que les travailleurs et travailleuses étaient en grève, se battaient pour de meilleures conditions de travail et de vie, de meilleurs salaires, etc. Les grèves générales, particulièrement autour des années 1920, ont eu des conséquences économiques et sociales assez importantes: morts, attentats, appareils de production sabotés, marchandises disparues, production arrêtée, etc. Bref, la crise sociale pendait au bout du nez du gouvernement et menaçait l’équilibre économique capitaliste si cher à l’élite.

La classe moyenne est ainsi née au fil de quelques réformes qui ont permis de développer une classe de travailleurs et de travailleuses privilégié-e-s qui bénéficie depuis d’un avantage économique. Par exemple, la journée de huit heures a été concédée pour répondre aux demandes d’une partie seulement des travailleurs et travailleuses, permettant ainsi à l’élite économique et au gouvernement de gagner du temps par rapport aux autres revendications, auxquelles ils n’avaient évidemment pas l’intention de répondre.

La création de cette classe de travailleurs et de travailleuses privilégié-e-s a tué la révolte et a permis aux entreprises de continuer leur production et l’accumulation des profits, tout en maintenant une bonne partie des travailleurs et travailleuses dans la pauvreté. La classe moyenne se caractérise ainsi par des acquis et par ce désir de les conserver à tout prix, même si cela doit se faire au détriment des plus précaires. Elle sent qu’elle les mérite parce qu’elle travaille fort, même plus que les autres. Le fait qu’il existe maintenant une classe de travailleurs et de travailleuses privilégié-e-s contribue à désolidariser le mouvement de révolte populaire.

L’existence de la classe moyenne se caractérise également par le néocolonialisme. La condition pour en faire partie est d’abord d’être citoyen-ne d’un pays « développé », donc d’avoir un statut en règle ou de faire partie des descendant-e-s de colons. Une partie du prolétariat, tel qu’on le connaissait traditionnellement, a été transféré dans les pays colonisés « en voie de développement » où les conditions de travail sont tellement exécrables qu’elles peuvent entraîner la mort. Dans les pays occidentaux, le visage du prolétariat est désormais celui des sans-papiers, des Autochtones, des chômeurs et chômeuses, des assisté-e-s sociaux, des non-diplômé-e-s et des retraité-e-s, qui font tous et toutes partie des groupes marginalisés. Ces dernièr-e-s n’ont souvent pas d’emplois et ont à peine les ressources nécessaires pour survivre. Ce sont souvent aussi les femmes, qui occupent des emplois précaires, à temps partiel, au salaire minimum, des postes que l’on juge exclusivement adaptés pour les femmes; ce sont elles, par exemple, qui font le ménage chez les riches et qui s’occupent de leurs enfants pour faire survivre les leurs.

À la lumière des différentes tentatives qui ont été menées depuis près de deux siècles, il n’est pas hasardeux de conclure que le capitalisme ne peut être réformé ni de l’intérieur ni de l’extérieur. il faut évidemment se battre à court terme pour arracher des compromis aux possédants et aux décideurs parce que les conséquences de ce système sont bien réelles sur la vie des gens qui meurent et souffrent tous les jours. Mais à long terme, c’est d’une transformation sociale, économique et politique profonde dont nous avons besoin.

 

Article précédent

 

Article suivant