Anticolonial - Anticapitaliste


Cet article a été écrit par et pour des descendant-e-s de colons engagé-e-s dans les luttes anticapitalistes contemporaines dans le but d'encourager les analyses anticoloniales au sein de nos réseaux.

Le capitalisme sur ce continent a commencé dès la colonisation génocidaire des peuples autochtones et la dépossession de leurs territoires par les État-nations européens, principalement la France et l'Angleterre. L'objectif principal de cette colonisation était de contrôler le territoire pour en extraire les ressources naturelles et y établir des colonies. Par ce processus de colonisation, les hommes européens en position de pouvoir ont répandu leur société patriarcale, chrétienne et militaire au sein de ce qui est maintenant devenu un système global.

Depuis quelques centaines d'années, les colonies européennes sont devenues les États et nations capitalistes coloniaux au sein desquels nous vivons aujourd'hui. Les gouvernements coloniaux américain, canadien et québécois continuent de gérer la colonisation et de l'imposer aux peuples autochtones. Le principe central de cette démarche est d'assurer l'accès au territoire et de permettre, avec une intensité toujours renouvelée, l'extraction des ressources naturelles. L'exploitation des ressources souterraines a toujours été une importante industrie extractive (avec celles des fourrures, de la pêcherie, de la foresterie et de l'hydroélectricité) mais elle est aujourd'hui devenue la principale forme d'extraction, comme en témoignent les mines à ciel ouvert, la fracturation hydraulique et la course effrénée vers les dernières sources d'hydrocarbures, telles que les sables bitumineux. Encore aujourd'hui, la construction des colonies joue également un rôle central au sein du capitalisme, sous la forme du développement immobilier, de l'embourgeoisement et de l'étalement urbain.

Les industries extractives (et leurs conséquences néfastes sur le mode de vie et la survie matérielle et culturelle des peuples autochtones sur leurs territoires traditionnels) sont un des éléments centraux de l'accumulation de capital au Canada et au Québec. De plus, plusieurs compagnies minières opérant partout dans le monde ont leurs sièges sociaux dans des villes canadiennes. La bourse de Toronto, par exemple, représente le plus important marché de capitaux au monde au chapitre du financement des compagnies minières. Le développement de nos villes est financé par le colonialisme extractif. Depuis leurs origines, les institutions du capital, en particulier celles du secteur financier et des gouvernements, se sont spécialisées dans le soutien des industries extractives mondiales. Les institutions les plus puissantes de nos villes jouent un rôle important dans la coordination et l'expansion des secteurs extractifs coloniaux du système capitaliste mondial.

C'est le contexte historique et structurel de notre société, et cela a des implications importantes pour les révolutionnaires anticapitalistes.

Premièrement, en tant que descendant-e-s de colons vivant dans une société fondée par les Européens, il n'est pas surprenant que plusieurs références de la lutte anticapitaliste proviennent des traditions émergeant d'Europe, qu'elles soient libérales, marxistes ou anarchistes. Or, les analyses ancrées dans les traditions européennes risquent de ne pas prendre en compte des aspects majeurs du capitalisme colonial tel qu’il existe ici. En Europe, mis à part quelques exceptions, comme les Basques et les Irlandais (avec leurs mouvements nationalistes aspirant à développer leur propre État-nation), la colonisation interne n'est pas une partie importante des conflits sociaux structurels comme c'est le cas ici. Les industries extractives et les colonies n'y ont pas le rôle central qu'elles occupent ici. En plus, la défense du territoire contre l'expansion coloniale ne constitue pas une menace politique et économique sérieuse au système capitaliste comme elle l’est ici.

Nous ne sommes pas en Europe, et si nous avons une quelconque chance de démanteler le système capitaliste ici, sur ce continent et dans cette ville, nous devons ancrer nos luttes dans une compréhension de l'histoire et des relations de pouvoir telles qu'elles existent ici.

Deuxièmement, pendant ces quelques centaines d'années de construction de l'État-nation, les gouvernements coloniaux ont délibérément employé différentes stratégies démographiques pour construire et contrôler la population sur ce territoire. En plus des tentatives génocidaires de détruire et d'assimiler les peuples autochtones par le meurtre, la famine, la maladie et les pensionnats, les gouvernements coloniaux ont graduellement incorporé les ethnies européennes les moins favorisées (dont l'ethnie québécoise) au sein du groupe racial, global et privilégié « des Blancs », ils ont asservi puis criminalisé les personnes de descendance africaine et ils ont exclu sur des bases racistes les personnes migrantes pauvres et non-blanches. Le contrôle de la population s'est aussi traduit par le contrôle des femmes et de leurs corps, notamment par la stérilisation forcée de milliers de femmes autochtones et non-blanches en Alberta, en Colombie-Britannique et aux États-Unis au cours du 20e siècle. Encore aujourd'hui, un grand nombre de femmes autochtones sont assassinées ou disparaissent sur une base régulière partout sur le continent. En fait, ces histoires d'oppression raciste et de génocide constituent les conditions qui permettent aux colons majoritaires, blancs, travailleurs, relativement privilégiés, d'exister sur ce continent.

Des luttes nécessaires sont à mener au sein de la société coloniale, y compris au sein de la classe ouvrière, pour contrer la colonisation et la suprématie blanche. Par contre, ces luttes n'obtiendront pas nécessairement le soutien populaire des travailleurs colons blancs qui continuent de bénéficier des systèmes de pouvoir qui renforcent le capitalisme et de s'identifier à ceux-ci. Les luttes anticapitalistes et anticoloniales sont, et seront probablement toujours, des luttes menées par une minorité de la population sur ces territoires. C'est une considération importante pour toute personne ou groupe cherchant à développer une stratégie révolutionnaire à long terme. Les mouvements qui n'ont pas le soutien de la majorité de la population peuvent tout de même chercher à s'améliorer et à lutter pour survivre dans un environnement global de plus en plus hostile, où la répression des gouvernements et le contrôle politique ont recours à des technologies de plus en plus sophistiquées. Nous devons être prêt-e-s à bouger rapidement quand surviennent des changements dans les dynamiques globales de pouvoir qui rendent possible ce qui était précédemment impossible.

Troisièmement, l'hétéro-patriarcat, le capitalisme et l'État-nation sont des systèmes sociaux coloniaux qui ont été imposés sur ce continent par la négation des différents systèmes sociaux autochtones. Les efforts séculaires des peuples autochtones pour réaffirmer leurs propres systèmes sociaux sur leurs territoires ainsi que leurs longues luttes pour la souveraineté et pour la décolonisation s'inscrivent dans des conflits structurels profonds contre les systèmes de pouvoir de la société coloniale, surtout en relation avec les secteurs d'appropriation capitaliste du territoire. Comme le dit l'intellectuel Dene Glen Coulthard dans un récent article : « For Indigenous nations to live, capitalism must die. And for capitalism to die, we must actively participate in the construction of Indigenous alternatives to it. » (Pour que les nations autochtones puissent vivre, le capitalisme doit périr. Et pour que le capitalisme périsse, nous devons nous engager activement dans la construction de solutions de remplacement inspirées des cultures autochtones.)

En fonction du contexte politique d'un territoire particulier, il est possible pour les descendant-e-s de colons anticapitalistes de partager d'importants objectifs avec les peuples autochtones engagés dans les luttes pour la décolonisation. Par contre, cette base pour la construction d'une lutte commune ne peut pas être tenue pour acquise. Une trop grande partie de l'histoire (et des pratiques actuelles) de la gauche coloniale, y compris des anticapitalistes, ignore les luttes autochtones, les marginalise et favorise des objectifs coloniaux ou soutient activement le pouvoir colonial. Dans ce contexte, il y a encore beaucoup de travail à faire si l'on souhaite atteindre une base de confiance qui puisse transcender la division coloniale.

En tant que descendant-e-s de colons engagé-e-s dans des luttes anticapitalistes, nous avons beaucoup à apprendre des luttes et analyses des peuples autochtones, comme celles qui expliquent pourquoi l'anticapitalisme doit nécessairement être aussi anticolonial, et tâcher d'appliquer ces leçons à nos propres luttes et analyses. Sur la base de nos objectifs communs, nous devrions essayer de soutenir les luttes pour la décolonisation des peuples autochtones, y compris la revitalisation de leurs systèmes sociaux aux dépens du régime capitaliste colonial actuel.

Finalement, cette lutte n'a pas seulement lieu sur ce continent. Les luttes partout sur la planète se rejoignent de plus en plus et sont souvent menées par des peuples autochtones contre les industries extractives. Ces luttes entraînent souvent la répression sévère des activistes, la militarisation des zones d'extraction et l'augmentation de la violence sexuelle, surtout contre les femmes. Au sein de l'industrie minière, les entreprises dépendent des institutions financières canadiennes, elles sont soutenues par le gouvernement du Canada, et elles engendrent le déplacement colonial continu de populations et la destruction des territoires et de l'eau. Ces conséquences ont toujours été inhérentes au développement capitaliste. Les mouvements de défense du territoire et de l'eau sont par conséquent des éléments cruciaux de la lutte révolutionnaire globale contre le système capitaliste.