L’intersectionnalité est désormais mentionnée à peu près partout dans la littérature en science sociale. Ledit concept illustre généralement une relation d’interdépendance entre des situations génériques et comment différents systèmes d’oppressions peuvent s’imbriquer. Au contraire, par l’histoire du concept, l’intersectionnalité montre plutôt qu’il s’agit d’un outil analytique développé explicitement afin de trouver une manière d’arrimer les critiques du capitalisme, du patriarcat et du racisme au sein d’un ensemble compréhensible. C’est pourquoi une telle critique est si importante pour la lutte environnementale.
Une critique du patriarcat, du capitalisme et du racisme
Plusieurs féministes noires américaines comme Audre Lorde, Barbara Smith ou Angela Davis ont tôt fait de montrer que la condition de femmes noires américaines étaient particulièrement difficiles. De plus, dans le contexte des années 1970, plusieurs femmes se sentaient exclues en tant que femmes dans le mouvement noir, et en tant que noire dans le mouvement féministe, leur laissant bien peu d’espace dans les théories libératrices de l’époque. Malgré tout, elles continuaient à avoir un engagement fort à la cause des femmes, des noir·e·s et à la lutte anticapitaliste. Entre autre dans Genre, Sexe et Classe d’Angela Davis, il est montré comment la condition des femmes noires américaines est inséparable de la pauvreté et des processus capitalistes. Ainsi, lorsque Crenshaw a présenté son concept d’intersectionnalité, il y avait déjà près de 20 ans d’écrits politiques, issus de mouvement politiques révolutionnaires, qui présentaient comment les effets de systèmes d’oppressions étaient particulièrement visible dans le contexte des personnes affectées par plusieurs de ces systèmes.
Cette analyse était malgré tout un renversement de l’universalisme de l’homme blanc, dans lequelles personnes racisées ou les femmes étaient des exceptions à la motion générale du monde. L’objectif était de remettre les marges au centre, plutôt que de laisser des voix plus privilégiées taire les spécificités de leurs luttes. De plus, l’anticapitalisme, le féminisme ou la lutte antiraciste sont les bases de ces analyses, qui visaient explicitement à renverser le système capitaliste, le patriarcat et la suprématie blanche et se réclamant explicitement du marxisme. Intersectionnalité et écologie
Le système capitaliste et son insatiable besoin de croissance ont tôt fait de mettre à mal les écosystèmes terrestres. La perspective intersectionnelle, en tant que critique du capitalisme, permet de remettre en contexte la consommation responsable. En effet, bien que la consommation responsable reste une façon d’écarter et de blâmer les pauvres pour la dégradation de la planète, puisqu’iles ne font pas assez d’efforts en achetant les biens « écologiques », les contradictions les plus importantes ressortent lorsque l’on prend en compte comment les communautés non-blanches sont touchées par de telles politiques. Par exemple, les campagnes pour interdire l’eau embouteillée ne prennent pas en compte le fait que plusieurs réserves autochtones n’ont pas d’eau courante. Il est important de prendre en compte les personnes les plus marginalisées afin de développer une analyse qui libère tout le monde.
De plus, la prise en compte du patriarcat dans la création du capitalisme permet de mieux penser aux dynamiques par lesquelles des communautés relativement autonomes voient s’implanter et s’intensifier l’exploitation capitaliste. En effet, le capitalisme a toujours un besoin grandissant pour de nouveaux marchés et de nouvelles forces vives. C’est ce que l’on remarque lorsque des communautés autochtones sont déplacées pour mettre en place des projets miniers. Laissés à eux et elles-mêmes, la plupart finissent par se joindre à la force de travail des centres urbains.
Ainsi, les féministes noires américaines sont toujours pertinentes afin de comprendre les enjeux soulevés par la crise environnementale actuelle. La perspective intersectionnelle, telle que façonnée à sa racine, au sein d’une perspective anticapitaliste, féministe et antiraciste, est essentielle pour s’assurer de ne pas reproduire les inégalités au sein de nouvelle société que nous devrons construire sur les cendres de l’ancienne.
Ce texte est tiré de la brochure « Coup de chaleur », un recueil de perspectives radicales sur l'écologie en crise, assemblé par la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC).