Pendant que les uns tentent d'assouvir leur soif insatiable, les autres travaillent, luttent, fuient ou meurent. Les peuples du Sud global paient depuis trop longtemps le prix du mode de vie qu'a enfanté le capitalisme. Un mode de vie perpétuellement inaccessible à la majorité et perpétuellement insatisfaisant pour la minorité. Qui consomme les fruits de la production industrielle polluant l'air de Tianjin ? Qui se remplit les poches en empoisonnant les cours d'eau du Tamil Nadu ? Bien que la plupart des mécanismes exploiteurs Nord-Sud soient bien mal cachés, l'oppression par voie du réchauffement climatique est plus insidieuse.
Les bénéficiaires du système néolibéral en profitent pour diffuser la responsabilité de ce qu'ils comburent. Comme si la pollution atmosphérique pouvait être analysée sans tenir compte du poids des réalités coloniales passées et présentes. En fait, les contributions respectives doivent être jugées non seulement en fonction du lot historique d'émissions de gaz à effet de serre, mais surtout en fonction de qui profite de cette destruction. Bien que ses victimes soient plus diffuses et ses mécanismes moins directs, l'oppression climatique n'a rien à envier aux formes de colonialisme mieux connues. C'est toujours sur le dos de personnes autochtones, noires et de couleur, que les suspects usuels construisent leurs empires. Des bourreaux en cravates déplacent et dépossèdent les peuples de leurs ressources, de leur santé et de leur spiritualité souvent enracinées dans la terre qui les a cultivéEs et qu'ielles ont cultivées.
L'héritage du capitalisme, c'est à la fois la désertification et l'inondation de terres agricoles et habitées. C'est des millions de BangladaisEs, de SomalienNEs et d'ÉthiopienNEs qui migrent localement et outre-mer pour fuir la famine, les maladies et les conflits causés par les changements et catastrophes climatiques de plus en plus courantes.
En plus d'affecter le Sud global de façon disproportionnée, ces catastrophes touchent plus fortement les personnes les plus vulnérables partout. On peut penser à la population noire de Nouvelle-Orléans ayant diminuée de près de 100 000 personnes depuis l'ouragan Katrina il y a 13 ans. Alors que certains quartiers plus blancs et plus prospères de la Big Easy sont plus beaux qu'ils ne l'étaient avant l'ouragan, les communautés noires — loin des touristes et des caméras — ne sont encore que partiellement reconstruites. Que ce soit par la solidité de leurs fondations, la hauteur de leur maisons, ou par l'accès à un transport d'urgence, à la nourriture, aux soins de santé et aux communications, les bourreaux qui nous surplombent du haut de la colline savent bien qu'ils ont peu à perdre dans la loterie des irrégularités climatiques. Ils complotent, confortablement, à l'air climatisé dans des forteresses climatiques et financières qu'ils croient impénétrables et imperméables. Des forteresses construites de murs imaginaires et solides, de privilèges à dissoudre, d'yeux et de portes à ouvrir, et de clôtures à couper. Alors que de plus en plus de migrantEs climatiques marchent en direction de ceux qui jouent leurs vies à coups de dés, nos bourreaux pensent pouvoir continuer de décider qui survivra ou non, tout en instrumentalisant la migration pour nourrir leur idéologie de croissance économique infinie.
Il n'existe qu'une lutte écologique et ce n'est pas celle des gouvernements, des académiques ou des entreprises soit-disant éco-responsables. C'est celle des peuples, des ours et des arbres. C'est la nôtre. C'est une insurrection contre les mêmes personnes qui érigent des condos « verts » dans des quartiers qu'ils n'habitent pas et des prisons « humaines » sur des territoires qu'ils ne possèdent pas (et qu'ils ne possèderont jamais). Aujourd'hui et comme toujours, nous sommes engagéEs à faire des brèches et à détruire leurs forteresses de l'intérieur et de l'extérieur. S'ils ne sentent pas encore la chaleur des feux qu'ils ont allumés, nous allumerons des feux qu'ils ne pourront pas ignorer.