Le texte suivant est tiré d'un article publié par Solidarité sans frontières au printemps 2015. L'article complet est disponible en ligne ici.
Comme l’auteur David McNally a pu l'observer : « Ce n’est pas que le commerce mondial ne veut pas de travail migrant en Occident. Il veut simplement ce travail selon ses propres termes : apeuré, opprimé, vulnérable. » En parallèle à la consolidation de l’austérité néolibérale, les économies à travers le Nord mondial dépendent de plus en plus de la main- d’œuvre immigrée et migrante. Le but est d’obtenir un accès à une force de travail hyperflexible et peu chère : des travailleurs et travailleuses à utiliser et ensuite jeter à la poubelle, des gens à exploiter puis renvoyer chez eux et elles, sans qu’elles puissent jamais accéder aux privilèges qu’elles ont maintenus pour les travailleurs et travailleuses de la nation-oppresseure. Pour la plupart des personnes qui viennent des pays du Sud dévastés par le (néo-)colonialisme, l’austérité n’est rien de nouveau – c’est la norme. Les services et les ressources qui se font couper ont souvent été conçus pour ne jamais être accessibles par eux et elles au départ.
Ce n’est pas une coïncidence que le premier programme de travail temporaire ait été créé en 1966, quelques années seulement après l’élimination des catégories explicitement raciales qui avaient antérieurement défini les lois d’immigration au Canada. Le Programme d’autorisation d’emploi des non-immigrants (PAENI) a créé une catégorie distincte de travailleurs et travailleuses « peu- qualifiéEs », la majorité d’entre eux et elles issuEs des pays du Sud. Cela a pris quelques années avant que les effets du PAENI aient totalement prit forme, mais à partir des années 1980, les demandes d’autorisations temporaires de travail avaient éclipsé l’entrée de travailleurs et travailleuses permanentEs.
En parallèle de ceci, la trajectoire de classe des immigrantEs permanentEs au Canada elle-même a commencé à changer. Une majorité d’immigrantEs, même ceux et celles qui étaient de classe moyenne dans leurs pays d’origine, se faisaient réorienter (surtout par des mécanismes racistes informels) vers les occupations les plus exploitées et précaires. En tant que telle, la racialisation structurelle du travail à bas- salaire a persisté même parmi les « nouveaux et nouvelles canadienNEs. » En même temps, une section privilégiée de ces communautés immigrantes a été intégrée dans la classe moyenne et l’aristocratie ouvrière. Cette classe moyenne immigrante est coincée entre ses propres contradictions avec le colonialisme local (être sujetTEs au racisme, en plus des même pressions néolibérales que le reste de la classe moyenne) et le rôle qu’elle joue à lier la classe ouvrière immigrante précaire au projet néocolonial – ou au moins à neutraliser son opposition.
Le Programme de travailleurs étrangers temporaires (sic.; PTEC) fut établi en 2002 en extension du PAENI. Il s’est rapidement élargi, triplant de volume depuis 2006, signalant une fois de plus la centralité d’une force de travail hyperflexible dans les plans capitalistes. Les employeurs peuvent puiser du travail de tout pays dans le monde, sans surveillance gouvernementale et sans accords bilatéraux. Il n’y a pas de chemin vers la résidence permanente ; le droit des travailleurs et travailleuses de rester au Canada dépend de leur employeur. La plupart des travailleurs et travailleuses migrantEs reviennent chaque année pour compléter le même contrat de travail « à court terme » exploitéEs.
Ces travailleurs et travailleuses ont été « temporaires permanentEs », enferméEs dans une situation d’insécurité persistante. Cependant, des changements qui prendront effet le 1er avril 2015 vont empirer encore plus cette situation. La nouvelle législation « 4 et 4 », visant les travailleurs et travailleuses les plus exploitéEs du PTEC, limitera ces personnes à quatre ans de travail, puis les empêchera de revenir au pays pour les quatre années suivantes. Ceci est destiné à rendre ces personnes encore plus isoléEs et vulnérables, amenant un système d’immigration à porte tournante pour les plus exploitéEs. Tous et toutes les travailleurs et travailleuses temporaires à bas-salaire embauchéEs dans les réseaux de soins à domicile qui ont travaillé au Canada depuis plus de quatre ans seront banniEs de travailler et seront forcéEs à quitter le pays – une des plus grandes déportations de l’histoire canadienne. Éventuellement, plus de 60 000 personnes vivant actuellement au Canada (et des centaines de milliers qui les remplaceront de manière temporaire) seront expulsées, forcées à partir ou obligées de vivre ici comme travailleurs et travailleuses sans-papiers et criminaliséEs.
En plus des 300 000 migrantEs travaillant sous le PTEC, il y a actuellement entre 250 000 et 400 000 travailleurs et travailleuses migrantEs sans papiers au Canada. Ces personnes travaillent principalement en dessous de la table, sans accès au salaire minimum, à l’assistance sociale ou aux protections basiques du travail. Ils et elles constituent la section la plus exploitée de la classe ouvrière dans ce pays.
Tandis que l’État canadien cherche à étendre son secteur migrant hyperflexible, il a simultanément choisi de restreindre les avenues d’immigration permanente. Comme Harsha Walia de Personne n’est illégal le raconte, « Selon Avvy Yao-Yao Go, Directrice de la Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic, “Il y a trente ans, les migrantEs de classe familiale étaient la majorité de tous les migrantEs. Aujourd’hui ils et elles comptent pour moins de 20% du total.”»
« Le gouvernement conservateur a institué des quotas de 5 000 demandes (à noter, cela n’équivaut pas à autant d’admissions) de parrainage de parents et grands-parents. Ceci vient après un moratoire de 2 ans sur la réunification avec les parents et grands- parents. »
« Afin même de se qualifier, le gouvernement a imposé des exigences de revenu strictes et les familles doivent signer un accord financier de 20 ans. Cela implique que pendant deux décennies, les parents et grands-parents parrainés ne pourront pas accéder à l’assistance sociale sans devoir le rembourser. »
Ces changements au régime de réunification des familles font partie d’une série d’attaques gouvernementales contre les migrantEs « indésirables. » Suite à la création orwélienne de « l’Acte pour protéger le système d’immigration canadien » (Loi C-31) en 2012, les taux d’acceptation de réfugiéEs sont au plus bas de l’histoire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, à 33%. En 2013, plus de 15 000 déportations ont eu lieu – plus de 40 par jour – et plus de 9 000 personnes ont été enfermées dans des prisons d’immigration entre 2012 et 2013. La déclaration par le gouvernement en décembre 2014 qu’il annulait l’interdiction de déportations vers le Zimbabwe et la néo- colonie canadienne Haïti – soit disant parce que la situation de ces pays s’était « améliorée » – signifie que 3 500 personnes de plus feront face à une possible exclusion. (Cela souligne l’hypocrisie du système d’apartheid mondial : ces deux pays, désormais considérés saufs pour y déporter des gens, sont chacun sujet à des avertissements de voyage pour les touristes canadienNEs.) Entre-temps, et également en 2014, la loi C-24 est mise en vigueur, donnant la possibilité d’ôter la citoyenneté à des bi-nationaux ou même des enfants néEs au Canada qui ont la possibilité d’avoir deux citoyennetés. Dans un jugement choquant sans précédent, suite à un délit criminel non-violent, Deepan Budlakoti, né à Ottawa et détenant un passeport canadien, fait face à une expulsion vers l’Inde, un pays qu’il n’a visité que brièvement lorsqu’il avait 12 ans. C’est la folie des déportations.
La Reproduction du travail
Les capitalistes cherchent à extraire le travail maximum de toutE travailleur et travailleuse à un coût minimal ; pour le capitalisme, unE travailleuse ou travailleur c’est une force de travail, et rien de plus. Les travailleurs et travailleuses « temporairement permanentEs » souffrent de formes extrêmes d’exploitation dans la poursuite de l’idéal capitaliste. La nature « temporaire » est fondamentale ici, car elle se traduit en une réduction massive de sécurité et d’accès à des services et avantages en dehors du travail, peu importe combien d’années une personne y a travaillé.
Les employeurs canadiens utilisent de telLEs travailleurs et travailleuses sans contribuer aux coûts de les élever, les éduquer et les former, sans les supporter lorsqu’ils et elles sont malades ou deviennent âgéEs, et sans soutenir leurs enfants et autres personnes à charge. Les coûts de reproduction de cette force de travail sont poussés en dehors des nations-oppresseures, légués aux communautés et aux familles de ces travailleurs et travailleuses dans les pays du Sud. Entre-temps, au Canada, les personnes sans statuts sont souvent interdites d’accès aux soins médicaux, à l’école et à d’autres services sociaux. En effet, même les services non-étatiques, par exemple beaucoup de banques alimentaires, refusent souvent de fournir de l’aide à des personnes qui ne sont pas en mesure de fournir la bonne identification « légale ».
Une telle exclusion est fréquemment durement ressentie non seulement par les personnes directement affectées, mais également par les membres de leurs familles qui font ce qu’elles peuvent pour eux et elles. Dans les pays du Sud comme ceux du Nord, ce travail incombe trop souvent aux femmes – aux grands-mères, aux mères, aux conjointes, aux sœurs et aux filles qui font tout leur possible pour aider les membres de leur famille en détresse. Qu’un tel « travail reproductif » féminisé, au Canada comme dans les pays du Sud, soit mal rémunéré ou pas payé du tout, génère une source de superprofits qui est toute aussi grande qu’elle est cachée.
De plus, les femmes migrantes au Canada souffrent de toutes les mêmes formes d’exclusion que les hommes, mais tout en faisant face à des formes spécifiques de violence et d’oppression genrées. Dans chaque cas, le racisme et sexisme canadien exacerbe l’oppression et l’exclusion en cause. Par exemple, à partir d’août 2014, les épouses doivent désormais arriver avec un visa probatoire conditionnel de deux ans avant d’obtenir un statut permanent, un fait qui augmente la vulnérabilité des femmes migrantes dans des relations abusives, car cela rend leur statut légal entièrement dépendant de la continuation de relation avec leur conjoint. En plus, sous le régime de la suprématie blanche, les femmes raciasées et autochtones, queer, deux- esprits, trans, ainsi que toutes et tous celles et ceux qui ne conforment pas aux normes genrées patriarcales et de classe, font face à la grosse partie de la violence capitaliste et coloniale. Dans ceci, les autorités canadiennes elles-mêmes continuent d’être une source importante de violence.
Finalement, comme le montre le cas de la Charte des valeurs québécoises, les femmes perçues comme « étrangères » sont les cibles de choix de la violence raciste et des règlements condescendants. Dans la période actuelle d’Islamophobie accrue, ceci est une réalité particulièrement intense pour les femmes musulmanes, qui sont simultanément caractérisées comme les plus opprimées et les plus dangereuses. Cependant, toute femme considérée comme « autre » – non seulement les migrantes et musulmanes, mais également (selon les circonstances) les femmes autochtones, femmes pauvres, travailleuses du sexe, femmes trans, et autres – sont vulnérables à de telles campagnes haineuses, qui ont pour but de les garder dans une position précaire, tout comme elles servent à garder les femmes de la nation-oppresseure attachées de manière plus étroite à « leurs propres » structures patriarcales.
** Depuis que cet article a été publié la première fois, le gouvernement canadien a rétabli le moratoire sur les déportations vers Haïti et le Zimbabwe (en décembre 2015). Cela a effectivement mis fin aux déportations des HaïtienNEs et des ZimbabwéenNEs, mais ils et elles sont laisséEs dans les limbes, devant continuer la lutte pour un statut permanent.